Les pouvoirs publics tiennent-ils réellement leurs promesses vis-à-vis des investisseurs ? En d’autres termes subsiste-t-il encore aujourd’hui des écueils pour l’investissement en Algérie ? Ce qui est récurrent dans les dernières sorties médiatiques de différents hauts responsables d’Etat, ces derniers temps, c’est le chapelet d’assurances et autres garanties, émises en direction des opérateurs économiques et investisseurs, les incitant à investir et promettant que désormais le terrain est bien défriché pour accueillir leurs projets, et surtout pour se lancer dans l’exportation, une activité salvatrice pour nos sociétés, si elles veulent à l’avenir rester en course face à la déferlante étrangère qui va débarquer, ne cessent-on de souligner. Sur le terrain, force est de constater que la réalité est tout autre. C’est du moins ce qui se révèle à nous à travers la récente expérience d’une jeune société qui a tourné son activité exclusivement vers l’export. Rizzo-Pack est une entreprise récemment créée, qui fait dans la fabrication de coffres montés de luxe, c’est-à-dire des emballages en carton pour des parfums de luxe. C’est à Rouiba, siége de l’unité industrielle, que nous sommes allés rencontrer son manager. Ce dernier a bien voulu nous expliquer le dilemme auquel il fait face depuis le début des activités de l’entreprise. La construction de l’unité de fabrication s’est fait en un temps record : les travaux sont entamés en mars 2005 pour prendre fin le premier septembre dernier, «avec une main-d’œuvre et moyens 100% algériens», insistera notre interlocuteur. L’usine emploie actuellement une soixantaine de personnes, pour passer dans deux semaines à 150, souligne la même source. L’investissement global (infrastructures + machines), a coûté pas moins de 4 millions d’euros. Cependant, la partie la plus croustillante est celle de la remarquable prouesse que cette entreprise algérienne a réussie. Les managers ont décroché des contrats avec les plus prestigieuses marques mondiales de parfum : Dior, Givenchy, Guerlain, Kenzo, Lancaster et autres (excusez du peu). Selon notre interlocuteur, c’est la Chine qui est le leader mondial de la fabrication des emballages pour parfum, avec 90% de parts du marché sur les 400 millions de coffrets produits par année. Mais les distances et par là même les délais de livraison trop longs, ont incité les marques précitées (basées en Europe) à envisager une autre solution pour raccourcir les délais. L’Afrique du Nord, pour sa proximité géographique avec le Vieux continent, est donc tout indiqué à cet effet. «Il faut savoir que ce projet devait initialement se faire en Tunisie, mais nous avons réussi à le faire implanter en Algérie», tient à préciser le responsable de Rizzo-Pack. Les douanes : le grain de sable dans la mécaniqueRizzo-Pack dispose d’une production de 10 000 coffrets/jour, soit un peu plus de 3,5 millions de coffrets par an (1% de la production mondiale). Jusqu’ici tout va bien. Nous avons le parfait exemple d’une réussite. Le mérite est double quand il s’agit de s’imposer vers l’international et batailler dans la cour des grands. Mais voilà que cette mécanique parfaitement huilée, grince à cause d’un microscopique grain de sable. «Nous avons très tôt fait l’expérience de ce qu’on appelle la bureaucratie douanière», nous lâche désemparé notre interlocuteur. Et de préciser : «la direction générale des Douanes est très favorable à notre projet. Mais c’est le bas de l’échelle qui fait des siennes». Il s’agit en fait, nous explique-t-on, de retards sur le traitement des dossiers d’importations et d’exportations déposés au niveau des bureaux d’exécution. «Pour des raisons internes liées à la sempiternelle bureaucratie douanière, nos dossiers accusent des retards que nous ne pouvons nous permettre vis-à-vis de nos partenaires», lance excédé le manager, qui souligne que les délais de traitement, qui ne sauraient initialement dépasser 48 heures, s’allongent jusqu’à 10 à 15 jours. «L’on ne cesse de nous sortir, du côté des douanes, des rengaines du genre : «Reviens demain», «patientez, on a le temps», «je ne travaille pas chez vous !», “pourtant nos dossiers sont irréprochables», relève le responsable de l’entreprise. Pourtant, l’on n’a pas cessé de marteler, aussi bien du côté des douanes que de celles des autres pouvoirs publics, que les prestations douanières ont connus un regain de performance et de qualité de service, et que l’on a mis les bouchées doubles pour faciliter la tâche aux opérateurs tournés vers l’exportation. Prend-t-on conscience que ce projet durement «arraché», risque gros. «Actuellement nous avons des commandes de 1 million d’unités à livrer pour Givenchy. Mais si le produit n’est pas livré dans les temps, la commande sera annulée. Et c’est la fermeture qui nous attend au tournant si ce problème ne se règle pas attend», résume-t-on en quelques mots la gravité de la situation. L’investisseur excédé ne mâche pas ses mots : «que les pouvoirs publics nous disent comment ils veulent qu’on travaille. Soit ils nous aident en nous facilitant les choses à tous les niveaux, soit ils nous disent d’aller voir ailleurs !». Le ton se veut encore plus exaspéré : «comment peut-on demander aux étrangers de venir investir ici, au moment même où les nationaux n’arrivent pas à s’en sortir. Pourtant le Président de la République a maintes fois rassuré les opérateurs économiques à ce sujet». Et de revenir encore une fois à la charge : «donnez nous nos droit et laissez nous travailler, c’est tout ce que nous demandons ! Est-ce tellement difficile à réaliser ! ?». Le cas de Rizzo-Pack n’est malheureusement pas unique. C’est l’arbre qui cache la forêt. Combien sont-ils, les entreprises, les projets, les opérateurs, à encaisser les coups bas d’un système «rongé jusqu’à l’os» par des pratiques moyenâgeuses et une bureaucratie «assassine», menée par des responsables figés dans le temps ? Il est grand temps aussi que nos responsables joignent le geste à la parole…
Elias Ben