Avancer à reculons?

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Après avoir passé l’épreuve des examens de fin d’année, et particulièrement du baccalauréat, avec ses aléas, ses risques et ses incidents, la ministre de l’Éducation compte organiser des ateliers sur les réformes du secteur de l’Éducation. Elle a décliné son projet quelques semaines après sa nomination dans le gouvernement Sellal, au lendemain des élections présidentielles du 17 avril dernier. Entre-temps, la nouvelle ministre a suscité des réserves et soulevé un indescriptible tollé rien que par sa nomination au poste de ministre. La mouvance conservatrice, qui a investi depuis de longues années l’école algérienne, et qui s’est faite des tentacules dans le corps de la société a diabolisé un membre du gouvernement en fouinant dans ses origines familiales et dans ses tendances idéologiques, sachant que Mme Benghebrit fait partie de la commission de réforme de l’école, installée par le président Bouteflika au début des années 2000, présidée par le professeur Benali Benzaghou. Même si cette commission n’a pas pu imposer le fruit de ses réflexions au sein de l’école, suite à des résistances insurmontables dans le système éducatif, on l’accusa de tous les maux. On lui fit grief de ses orientations modernistes tendant à soustraire l’école aux idéologies et aux méthodes passéistes. Qu’un membre de cette commission accède au poste de ministre, voilà qui, aux yeux des nouveaux Torquemada, dépasse tout entendement. On le lui fit savoir dans des articles de presse, dans des déclarations enflammées à la télévision et dans d’autres occasions. Le « dossier » de l’enseignement de la Chariâa au lycée a rebondi, la semaine passée, par l’intermédiaire de la Coordination nationale des enseignants du secondaire (Cnapest), section Chariâa. Cette dernière revendique le retour à la filière Chariâa dans l’enseignement secondaire après qu’elle fut supprimée, en Conseil des ministres, en juin 2005. La suppression de cette filière a été dictée par des considérations pratiques. La majorité des lycéens qui en étaient issus n’avaient d’autre choix que d’aller vers la filière Chariâa à l’Université. Après la graduation, peu de débouchées s’offrent aux diplômés, en dehors de la sphère de la reproduction de l’enseignement. Débouchant souvent sur des situations de chômage, la filière Chariâa ne pouvait pas être maintenue en tant que telle. Le gouvernement a maintenu les cours de Chariâa au lycée pour l’ensemble des filières, mais a décidé de supprimer la filière elle-même. Le tollé soulevé à l’époque fut vite contré par les explications du Premier ministre d’alors, Ahmed Ouyahia. Une partie de la presse arabophone servit de relais à la contestation de la décision du gouvernement, en puisant dans un argumentaire, certes moins brutal, mais plus spécieux et plus subtil puisqu’il donne au problème une dimension internationale relevant de la géostratégie. Bien sûr, le Printemps arabe n’avait pas encore « fleuri » dans les pays qui en sont aujourd’hui les victimes expiatoires. Le parti MSP, faisant alors partie de l’Alliance présidentielle, défendit les choix du gouvernement en expliquant que « les éléments de notre identité ne doivent pas devenir des matières à enseigner ».

L’ancien ministre de l’Éducation, Boubekeur Benbouzid, avait appelé à « mettre l’éducation à l’abri de la politique ». Des protestations sans lendemain vinrent de Abdallah Djaballah et des étudiants en Chariâa de l’Université des sciences islamiques de Constantine. Ces derniers lancèrent un mouvement de grève pendant plusieurs mois et prirent en otage l’ensemble des étudiants (2 700) et du corps administratif. Il a fallu recourir à l’usage de la force publique. Le recteur, Abdallah Boukhalkhal- il faut bien retenir ce nom pour le courage et le sens de responsabilité dont il a fait preuve- avait qualifié ces agitateurs d’ »d’extrémistes récidivistes qui ont raté leurs études et qui tenaient en otage toute la communauté des étudiants ». Derrière ce mouvement, se cachait l’UGEL, une organisation estudiantine proche d’un parti islamiste. On fit établir précipitamment la relation entre la volonté des Algériens à réformer leur école et les prétendues pressions qu’auraient reçues les autorités du pays dans le cadre d’une hypothétique « feuille de route » américaine dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). À court d’arguments, ceux qui s’opposent à la libération de l’école algérienne, usent de tous moyens, y compris les moins loyaux et les moins intelligibles. L’enseignement de la Chariâa est devenu cette « feuille de vigne » par laquelle on tente de dissimuler les vrais problèmes et d’occulter les vrais enjeux. Les prochains ateliers sur le secteur de l’Education sont censés mettre sur la table les problèmes qui prennent en otage l’école algérienne, aussi bien dans l’aspect organisation que dans le volet pédagogique. Ce dernier a longtemps été occulté par de faux problèmes et par des considérations idéologiques qui ont dangereusement déclassé l’école algérienne.

Saura-t-on, cette fois, surmonter ces écueils et n’avoir à l’esprit que l’intérêt des élèves et du pays ?

Amar Naït Messaoud

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