Les spéculateurs à l’index !

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Avec la flambée des prix, enregistrée ces derniers mois, la pomme de terre est devenue hors de portée pour un grand nombre de familles. 

Et dire qu’elle est un produit incontournable dans l’assiette de l’algérien, surtout durant le mois de Ramadhan ! À Bouira, la question est sur toutes les lèvres : le prix de la pomme de terre baissera-t-il à l’occasion du mois sacré comme l’ont promis les autorités concernées ? Une chose est certaine en tout cas : ce tubercule est encore très cher. Le kilo est cédé à 60 DA en moyenne. Selon certaines prévisions, ce prix augmentera encore dans les jours à venir, Ramadhan oblige ! Ce qui contraindra bien des ménages à se passer de cet aliment de base. Parmi les facteurs potentiels qui favorisent cette envolée des prix reste la spéculation. Une spéculation exercée par des groupes d’intermédiaires qui créent la rareté là où elle ne l’est pas. Quand chaque intervenant prend sa marge, les prix s’enflamment inéluctablement.

Les prix flambent déjà !

Actuellement, la patate de bonne qualité est cédée à 50 DA le kilo et celle dite de petit calibre est affichée à 45 DA. « Du jamais vu, mieux vaux acheter des fruits à la place des patates !», ironise ce père de famille incrédule devant les prix affichés. Au marché de Bouira, le tubercule a dépassé les 50 DA, le week-end dernier, ce qui a fait dire à Anissa, une jeune mère de famille, qu’il ne reste rien au pauvre. «La viande à plus de 1.000 DA, la sardine à 500 DA, la tomate à 120 DA que reste-t-il ? », s’interrogera-t-elle. Dans tous les autres marchés de la wilaya, le même constat est à faire, puisque les prix, décidés à la source, ne diffèrent pas. « Et dire que Bouteflika a épongé les dettes des fellahs !», dira Nourredine, un fonctionnaire. Les citoyens, pour expliquer ces prix, hésitent entre le phénomène de la spéculation, la mauvaise récolte et la qualité douteuse des semences importées. Au niveau du marché du centre-ville d’Aïn Bessem, un revendeur au détail nous expliquera que les prix actuels sont dus notamment à la spéculation qui bat son plein une fois le produit déposé au niveau des marchés de gros. «Le problème réside dans la chaîne d’intermédiaires qui spéculent les prix, les augmentant de main en main». Ainsi, la pomme de terre, une fois arrivée aux marchés de gros, passe du fellah au mandataire qui fixe son prix. Le mandataire est sollicité à son tour, par une tierce personne qui achète toute la production et fixe un nouveau prix. Et c’est cette succession d’intermédiaires qui entraîne la hausse des prix du tubercule. « La pomme de terre est un produit d’entraînement puisqu’à son sillage, ce sont tous les autres produits de la terre qui ont augmenté notamment à l’approche du mois de Ramadhan », expliquera encore notre interlocuteur. «Lorsqu’on achète la patate à 47 DA le kilo, on est obligé de la revendre à 50 voire à 55 DA pour rentrer dans nos frais», se justifie un autre vendeur. Au marché d’Aïn Bessem toujours, l’autre problème posé et qui pourrait avoir une incidence indirecte sur les prix pratiqués, est celui de la concurrence déloyale des marchands irréguliers ou informels. «Nous, on paye des droits à la mairie, mais on est obligé de débarrasser le plancher à partir de 16 H, les autres arrivent ensuite et s’installent jusqu’à une heure tardive de la nuit sans rien payer. Pire encore, ils envahissent les quartiers et les routes, sans que les autorités ne bougent le petit doigt !», s’insurge encore notre interlocuteur. Cette tendance à la hausse risque de perdurer et de s’amplifier avec l’arrivée de l’été et du mois de Ramadhan, deux périodes de grande consommation de la pomme de terre.

Une main-d’œuvre défaillante

La wilaya de Bouira, avec sa moyenne de 3.000 hectares plantés annuellement, au niveau des deux plateaux d’El Asnam et d’Aïn Bessem, jouit de l’avantage de la précocité quant à la mise sur le marché de sa production. Un véritable atout, avec lequel les pouvoirs publics n’arrivent toujours pas à désamorcer la crise de la pomme de terre. La culture de spéculation est, selon les agriculteurs de la région, la principale raison. « La culture de cette spéculation agricole est devenue malheureusement, hautement stratégique. La pomme de terre ne descendra pas en deçà des 50-55DA/kg, pendant ce mois de Ramadhan, et pourras atteindre les 100 DA/Kg au mois d’août prochain ! Faites un tour au niveau des localités de Raouraoua et d’Aïn Bessem, et vous réaliserez pourquoi ce protagoniste dans la filière reste avéré! Vous y constaterez de visu la sinistre de la spéculation dont fait l’objet ce produit agricole de large consommation ! », Affirme Saïd, un jeune agriculteur de la région d’Aïn Bessem, avant d’ajouter : « L’Etat, qui est censé mettre un terme aux dépassements et à l’anarchie sur la voie publique, brille par son absence. Du coup, c’est une horde d’intermédiaires et d’énergumènes qui, depuis quelques jours, ont réinvesti les rues et les ruelles de l’agglomération, pour vendre à d’autres intermédiaires des sacs de pomme de terre ! ». Ami Ahmed, un autre producteur de pomme de terre, dénonce, pour sa part, la malhonnêteté des journaliers de la pomme de terre : « Les ouvriers journaliers, qui arrachent la pomme de terre, reviennent des champs avec des sacs de 5 à 20 kilos de tubercules, glanés ou souvent maraudés. Ils perçoivent des rémunérations journalières de l’ordre de 1 200 DA voire 1 500 DA lors des journées pluvieuses, en sus du sac de pomme de terre dérobée ou glanée à l’issue du travail à la tâche, qu’on vendra aux marchands de fruits et légumes du coin. Ces cas sont monnaie courante à longueur de l’année ». L’aubaine est momentané aussi faut-il en profiter et pleinement. Pour une meilleure position de force, voire de diktat, lors de la négociation matinale de la journée du travail avec le fellah, on s’organise en groupes et groupuscules d’ouvriers. La convention est claire. Généralement, on consent pour le quota de 30 caisses que chaque paire d’ouvriers doit récolter, ramasser et charger sur le camion de l’acheteur. Le travail est à la tâche et si le rendement est bon, la journée de travail ne se prolonge guère. Une rapidité dans l’exécution qui permet la large latitude de doubler sa rémunération journalière, car il arrive qu’à la demande de l’acheteur, les ouvriers soient sollicités pour doubler la cadence du travail afin de charger les camions qui se présentent.

Le SYRPLAC, l’autre facette du problème…

Vers la fin de 2008, le gouvernement algérien a décidé de mettre en place le système de régulation des produits agricoles de large consommation « SYRPALAC ». Ce système vise deux objectifs, à savoir la préservation des revenus des agriculteurs, ainsi qu’une relative stabilité des prix à la consommation. Le même dispositif dispose d’une cinquantaine de chambres froides et de stockages des produits agricoles, notamment la pomme de terre.

Le même office organise régulièrement des réunions et des rencontres, avec les agriculteurs des 48 wilayas, afin de mettre en place des échéanciers pour l’achat du surplus de leur production agricole. C’est dans cette optique que la chambre d’agriculture de la wilaya de Bouira a organisé jeudi dernier, une rencontre entre les responsables de la SGP Proda, Mac Soumam et Mac Sahel et des producteurs de pommes de terre de la wilaya, et ce, afin d’exposer le programme du Syrpalac, mais aussi pour proposer d’acquérir leurs productions de cette année. Une proposition qui a été réfutée par les agriculteurs de la wilaya. Ces derniers, qui avaient affiché au départ, une certaine méfiance, face aux propositions et aux assurances des responsables, ont expliqué ce refus pour diverses raisons. À commencer par le manque de subventions directes, destinées aux agriculteurs de la pomme de terre. « Le Syrpalac promet toujours et n’agit que très peu. Aujourd’hui, nous exigeons la création d’un office de production, afin que les aides parviennent directement aux producteurs. On nous désigne comme étant des privilégiés par rapports aux subventions, mais il faut que l’opinion publique sache que nous n’avons jamais rien reçu de l’Etat. Des subventions sont attribuées, mais elles ne nous parviennent pas. Il est temps de protéger la production avec un office qui assurera le prix minimum garanti aussi bien pour le producteur que pour le consommateur », explique M. Boudehane, le président de l’association des maraîchers de la wilaya de Bouira, qui souligne que la superficie d’exploitation de la pomme de terre a diminué de moitié par rapport aux années écoulées, à cause des dettes des agriculteurs. Pour les professionnels, certains spéculateurs se sont accaparés du gros de ces subventions. « Aujourd’hui, nous mettons au défi toutes les personnes ayant bénéficié de subventions qu’elles sortent leurs productions sur le marché et qu’elles fassent descendre le prix de la pomme de terre ou qu’elles les vendent au Syrpalac !», ajoute un autre producteur que nous avons rencontré sur place. Les producteurs de tubercules réclament également l’annulation pure et simple des subventions de l’Etat pour ce produit, et ce, jusqu’à la création d’un office national pour la production de la pomme de terre.

Le ministre du Commerce met en garde 

« Nos services de contrôle seront présents sur le terrain et seront extrêmement sévères contre les contrevenants », a mis en garde Amara Benyounès, la semaine dernière, lors d’une conférence de presse animée conjointement avec la ministre tunisienne du Commerce et de l’Artisanat. Le même responsable a également affirmé que les services de contrôle des pratiques commerciales seront extrêmement sévères envers toute personne qui contreviendra aux prix réglementés de certains produits de première nécessité pendant le mois de Ramadan. Le ministre du Commerce, qui a rappelé encore une fois, la disponibilité des produits alimentaires durant le mois sacré a appelé les algériens à ne pas changer leurs habitudes de consommation, afin d’éviter la hausse des prix, notamment ceux des produits agricoles frais. « J’appelle les algériens à consommer normalement. Il faut absolument éviter le stockage et la frénésie qui précèdent le mois de Ramadan, afin d’éviter les hausses des prix », a-t-il déclaré.

Oussama K

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