Absentéisme, nonchalance et mépris

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Le secteur de la santé va mal! Ce n’est un secret pour personne que les hôpitaux, à travers le pays, sont transformés en de véritables mouroirs. Les scandales à répétitions n’en finissent pas d’éclabousser ce secteur déjà bien terni par une gestion approximative, pour ne pas dire catastrophique.

À l’échelle de la wilaya de Bouira, on avait cru esquisser une légère amélioration, notamment du côté de l’administration et des infrastructures. Cependant, une virée nocturne à l’EPH Mohamed Boudiaf, sis en plein cœur du chef-lieu de la wilaya, nous a fait très vite déchantée. Cette fois-ci, ce ne sont ni les agents de sécurité ni l’administration qui sont mis en cause, mais ce sont plutôt certains pseudos médecins, peu scrupuleux et qui font honte à leur noble profession, qui sont pointés du doigt. Des médecins inconscients, incapables d’assurer leur rôle, en faisant montre d’un certain dédain qui frôle le mépris à l’égard de leurs patients. Ce qui suit, interpelle, choque et donne, malheureusement, une piètre image du corps des blouses blanches.

Où est passé le serement d’Hippocrate?

Dans la soirée de mardi dernier, aux alentours de 21h, le service des urgences de l’hôpital de Bouira est, comme à l’accoutumée, débordé par le flux impressionnant de malades, venant consulter pour une indigestion ou une intoxication. Bref, rien de bien anormale durant ce mois de Ramadhan. Mais ce qui est désastreux, c’est de voir des médecins urgentistes, qui abandonnent carrément leur poste et par ricocher leurs patients, pour aller voir, au café d’en face, une simple rencontre de football. Il s’agissait du match Brésil – Allemagne. Vers 21h10, une dame âgée de 68 ans et originaire de la commune voisine d’Ain Turk, a été admise au service des urgences pour, apparemment, une intoxication alimentaire qui va s’avérer au fil du diagnostic être une crise d’ulcère. Après avoir été déposée par son fils au seuil du pavillon des urgences, cette dame comme son fils, vont être carrément livrés à eux même. Aucun médecin dans les parages, juste un agent de sécurité qui se démenait comme un pauvre diable pour lui venir en aide. «Où sont les médecins? Je n’arrive pas à tout prendre en charge! Quel pays!» dira cet agent, au bord de la crise de nerfs. Après quelques minutes et un coup de téléphone, un praticien se «ramène» tranquillement, cigarette au bec, en lançant à ses camardes «L‘Allemagne rahi rabha!» (L’Allemagne mène au score). Pendant ce temps-là notre vieille dame était «entreposée» dans un recoin de la salle d’attente. Une salle qui s’est avérée très vite exiguë pour contenir le grand nombre de patients. Pis encore, aux alentours de 21h35, un garçon de 09 ans, dans un état lamentable, puisqu’il avait le genou en sang, s’est fait admettre aux urgences. Là c’est un médecin femme, à l’allure débraillée, un bout de zlabiya à la main, qui, traînant des pieds, s’amène. La tante du garçonnet, dans un état de choc, expliquait au médecin les circonstances de l’accident, quand cette dernière l’interrompt en lui disant d’un ton sec : «Ecoutez Madame, faites vite car j’ai d’autres choses à faire», en se goinfrant de zlabiya. Cette réponse indigne d’un médecin digne de ce nom, a fait réagir la tante de la victime. «Docteur, si vous n’êtes pas capable d’assurer vos fonctions restez à la maison et laissez la place à d’autres médecins, des vrais!» s’est-elle exclamée d’un ton furieux. Finalement, c’est un autre praticien, beaucoup plus sage, qui s’est occupé du gamin en pleure. Un autre cas a attiré notre attention. Il s’agit d’une jeune maman accompagnée par son époux. Cette femme nous a déclaré avoir eu des vertiges et des nausées, juste après la rupture du jeûne. Son mari, affolé par la situation, s’est empressé d’alerter les médecins qui «flânaient» dans les couloirs des urgences. Après une courte consultation, le médecin s’éclipsera sans crier gare et sans le moindre diagnostic ni la moindre orientation. Le mari, furieux par une telle prise en charge, apostropha le praticien en question : «Dites-moi ce qui ce passe! Qu’est ce qu’elle a ?» À ses interrogations, le médecin rétorquera d’un ton nonchalant : «Attendez ici, je reviens dans un instant», avant de sortir du bloc sans la moindre explication. Un peu plus tard, l’époux voyant sa femme «rendre ses tripes», s’énerva et alla à la recherche du médecin indélicat. C’est là qu’un véritable coup de théâtre s’est produit. Un agent de sécurité particulièrement bienveillant, finira par orienter le jeune couple et par la même occasion «dénoncer» le pseudo docteur. Ce dernier est allé regarder le match au café d’à côté. Chose que nous avons pu vérifier par la suite, car on l’a croisé à la mi-temps du match, commentant la raclée du Brésil (0-5) à la mi-temps. Ces exemples navrant, et ce n’est rien de le dire, ne sont qu’un petit échantillon pris sur le vif. Voilà ce qu’endurent les malades au niveau de l’hôpital Mohamed Boudiaf. Ceci, est aux antipodes des déclarations rassurantes faites par le directeur de cet EPH, sur les ondes de la radio locale. Ainsi, M. Bounous, qui s’exprimait, dans la matinée d’avant-hier mardi, déclarait fièrement que «le personnel de son établissement assurait une totale prise en charge des malades.» Toutefois et lors de notre virée à cet hôpital, on a croisé quelques rares médecins qui ont encore leur conscience professionnelle et qui ne régnaient guère leur serrement d’Hippocrate et qui faisaient face, contre vents et marrées, au flux incessant des malades.

Intoxications à tout va…

En effet, et comme pratiquement chaque soir après la rupture du jeûne, l’hôpital Mohamed Boudiaf enregistre un flux massif de citoyens ayant contracté divers maux de ventre, suite à une intoxication ou tout simplement pour abus de gourmandise. Le service des urgences est quasiment pris d’assaut par des citoyens se plaignant de douleurs abdominales, ou bien de vomissements, et ce, quelques heures après le f’tor. Certains médecins qui font honneur à leur corporation, étaient débordés par ce trop plein de patients qui ne cesse d’affluer. Une de ces blouses blanches expliquera : «Comme vous pouvez le constater, on n’a pas une seule minute de répit. Entre de simples consultations et des interventions plus lourdes, on ne sait plus où donner de la tête». Quant à l’origine de ces admissions, ce médecin dira d’un air blasé : «C’est ainsi chaque Ramadhan ! Les gens abusent des plaisirs de la table, ce qui entraîne inéluctablement des problèmes au niveau du système digestif. D’ailleurs, la plupart des cas enregistrés sont dus à un fort excès d’aliments». Il est vrai qu’entre la sacro-sainte chorba et divers autres plats, sans oublier les gourmandises liées à ce mois particulier, les crises d’indigestions sont légions. Cependant, les excès de nourritures ne sont pas le seul facteur qui pourrait expliquer cette «vague» de patients au niveau de l’hôpital de Bouira. Les intoxications alimentaires y sont, elles aussi, pour quelque chose ! Et pour cause, les conditions d’hygiène au niveau de nos marchés et chez les artisans de confiseries, tels que la zlabiya et kalb el louz, des mets très appréciés durant le carême, ne sont guère reluisantes. Mouches, moustiques et autres bestioles prolifèrent aux abords des points de vente de ces produits de large consommation, au nez et à la barbe des services de contrôle d’hygiène… Au niveau de la salle d’attente de l’EPH de Bouira, une mère de famille, dans un sale état, confiera : «Quelques minutes après le f’tor, j’étais prise de violents maux d’estomac, suivis de vomissements. C’est ce qui explique ma présence ici. J’ai dû forcement manger quelque chose d’avarié…». Après consultation, les soupçons de la jeune femme se sont avérés justes. Le médecin diagnostiquera une intoxication alimentaire de faible ampleur, fort heureusement pour elle. 22h30, le flux de malades commencera à s’estomper peu à peu. Sur une cinquantaine de cas en moyenne, près d’une quarantaine rentreront chez eux sans trop de dommages, mais avec une belle frayeur… Pour les dix autres, jugés plus sérieux, ils resteront en observation. Enfin, et de tout ce qui a été constaté la raison et surtout la prudence sont plus que jamais de mise durant ce mois sacré. En conclusion, la Direction de la santé de Bouira, comme le ministère de tutelle devraient «faire le ménage» dans leur établissement. Car, au vu de ce qui a été relaté il existe encore des individus qui se disent médecins et qui n’ont cure du bien-être de leurs patients. Abandon de poste, nonchalance et mépris vis-à-vis des malades, restent, malheureusement, des fléaux à éradiquer au sein de nos hôpitaux, notamment à l’hôpital de Bouira.

Ramdane Bourahla

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