Une émotion qui ne remet pas en cause l'ordre établi

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Par Amar Naït Messaoud

L’agression israélienne contre la bande de Ghaza, qui se poursuit depuis plus de deux semaines, ne manque pas de charrier ses victimes parmi les enfants, les femmes et les personnes impuissantes à trouver un refuge, comme elle ne manque pas non plus de rappeler le parcours politique de l’enclave la plus densément habitée de la planète; une enclave séparée du reste du territoire palestinien (Cisjordanie) par le territoire israélien. De tous les conflits au Proche et Moyen-Orient, qui sont actuellement à l’œuvre, ce qui se passe à Ghaza retient plus l’attention de l’opinion et génère plus d’émotion et de réactions. Cela se comprend au vu du caractère disproportionné de la guerre qui y est menée : des roquettes artisanales contre un armement sophistiqué manié par l’une des armées les plus fortes du monde. Ce que certains observateurs non avertis ne comprennent sans doute pas, c’est pourquoi la guerre a lieu entre Ghaza et l’État d’Israël, et non pas entre la Palestine en tant qu’entité unique et unie contre ce dernier. Depuis le retrait israélien de la bande de Ghaza, en mai 2005, une sorte d’enfermement idéologique de cette bande méditerranéenne de la Palestine a ajouté son poids à l’enclavement géographique dont elle est frappée. L’on se souvient que, juste après ce retrait, des élections législatives ont eu lieu en Palestine et avaient abouti à une assemblée islamiste dominée par le Hamas. Ce dernier parti, avec ses phalanges armées, domine la bande de Ghaza. Incontestablement, l’opinion internationale, et particulièrement les défenseurs des peuples opprimés, ont mal digéré le verdict que l’on n’attendait pas avec un tel poids des islamistes. L’on a pu écrire « Palestine trahie ! », à la manière de la pièce de théâtre de Kateb Yacine qui porte ce titre. Malheureusement, la réalité qui a fini par prévaloir sur le terrain n’est pas loin de ce verdict. L’islamisation à outrance de ce qui peut paraître comme un mouvement de libération nationale a formé sa « nomenklatura » qui ne jure que par l’extrémisme qui envoie mourir des enfants et des femmes face à une machine de guerre sans faille. Les dissensions entre les dirigeants palestiniens, qui ont pris une grave tournure en 2007, a abouti à une véritable guerre civile, mettant aux prises l’ancienne Organisation de Libération de la Palestine (OLP) au mouvement Hamas. Ce dernier a formé son gouvernement islamiste ayant autorité sur l’ensemble des territoires palestiniens (Cisjordanie et bande de Ghaza). Après cet épisode de guerre civile, le Hamas déclara la bande de Ghaza comme territoire libéré de… la Palestine; qui ne se soumet pas à l’Autorité palestinienne. Il s’ensuivra que la communauté internationale, à commencer par l’Union Européenne, avait suspendu ses aides à l’administration palestinienne en guise de « représailles » pour les choix politiques ayant consacré l’intégrisme islamiste. La suite des événements allaient consacrer une « autonomie » de la bande de Ghaza, avec son gouvernement, remettant en cause l’administration de l’Autorité palestinienne et la légitimité du son président Mahmoud Abbas. Les efforts de réconciliation entre les frères ennemis, menées par l’Egypte de Moubarak, ne dépassaient pas le stade des vœux pieux. La dernière tentative de rapprochement a été menée juste avant l’actuelle montée des périls. D’ailleurs, certains analystes soutiennent que c’est ce même rapprochement qui aurait fortement déplu à Israël et qui aurait décidé de l’agression actuelle. La solidarité arabe est, aujourd’hui, doublement handicapée. D’abord, comme les derniers conflits qui ont mis aux prises Hamas et Israéliens, la cause ne semble être entendue que sur le plan humanitaire. Près de 300 tués parmi les civils de Ghaza. Les pays arabes n’ont donc pas, en face d’eux, une démarche unitaire des Palestiniens pour un objectif précis, par exemple le retour au processus de négociations entamé à Oslo en 1991. Ensuite, comme l’ensemble du monde arabe, lui-même, la dynamique politique semble appauvrie et happée par un glissement insidieux vers la solution intégriste. Où sont les mouvements de gauche, laïcs et modernistes de la résistance palestinienne ? Indubitablement, il y a une patente régression de la culture politique en Palestine; l’éventail se réduit en peau de chagrin pour ne laisser place qu’au noyau dur de l’islamisme et des phalanges armées qui lui sont affidées. À l’échelle de l’aire géoculturelle arabe, ce qui fut pompeusement dénommé Printemps arabe, non seulement montra ses limites, mais fut vite happé et détourné par une contre-révolution qui jure de maintenir les peuples sous le joug de la domination d’une autre nomenklatura, celle du bazar et de l’inféconde régression moyenâgeuse. Dans un tel contexte d’adverse fortune, les victimes palestiniennes n’auront droit, tout au plus, qu’aux élans de solidarité humanitaire qui ne remettent guère en cause l’ordre établi.

A. N. M.

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