La nature a horreur du vide

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Les statistiques et bilans de la violence sociale, sous toutes ses formes, se suivent et donnent l’impression d’une inquiétante aggravation. Le travail des services de sécurité est devenu de plus en plus ardu, problématique et aléatoire. La concentration démographique dans certains quartiers ou villes, la déscolarisation précoce de certains jeunes, le chômage chronique, le hiatus et le déracinement culturels nés de l’exode rural, le déficit d’organisation de la société civile, le manque de loisirs et de spectacles, tous ces facteurs et bien d’autres encore, ont fini par banaliser une forme d’expression verbale et corporelle portée sur la violence. Ce qui aurait dû constituer une formidable énergie de la jeunesse, portée sur le relèvement de défis, la créativité et l’innovation, deviendra un boulet que la société se coltine malgré elle, une éternelle interrogation et une menace pour la tranquillité et pou la cohésion sociale. Dans leur  mission quotidienne, les services de sécurité qui ont procédé à des recrutements massifs, et les institutions de la justice sont franchement débordés par l’actualité écumante des villes, des quartiers et des boulevards. Il faut dire que, au cours de ces dernières années, même les villages de la montagne, ces havres de paix de jadis, n’ont pas été épargnés par la violence sociale, puisque la drogue commence à y circuler librement, l’alcoolisme fait des ravages parmi les jeunes et certains conflits de familles- nourris par des histoires d’héritage, de partage de pension ou de limites de propriétés- se transforment en meurtres. Les rôles et archives des tribunaux sont assez parlants en ce sens, dans une région, la Kabylie, où les conflits étaient naguère réglés à l’amiable ou soumis à de formidables instances d’intermédiation (tajmâat). La violence se fait voir chaque jour, et ce, depuis les accidents de la route, qui fauchent des milliers de personnes par an, jusqu’au meurtre prémédité et autres kidnappings. Le retrait des services de sécurité de certaines zones de la Kabylie depuis le Printemps noir, et l’excès de « circonspection » de ces mêmes services partout ailleurs depuis la survenue du Printemps arabe, ont apparemment donné des ailes à tous ces jeunes qui se sont retrouvés à la marge de la société. Chargés de rétablir l’ordre et la tranquillité publique, de protéger les biens et les personnes, les services de sécurité se gardent de  »brusquer » les jeunes de crainte d’aggraver leurs conduites délictuelles et créer des mouvements de foule par une sorte de solidarité de larrons en foire. Les services sont mêmes instruits par leurs tutelles de lancer le dialogue avec ceux qui barricadent les rues et ferment les sièges de mairies et de daïras. Si l’on est porté parfois à comprendre ou admettre certaines de ces méthodes, les choses se corsent cependant lorsqu’il s’agit de délits et de violence publique (grande bagarres de quartier, violation manifeste du code de la route pouvant entraîner un grave accident,…). Cette forme d’ « indulgence des services de sécurité » est vite prise pour de la faiblesse par des désaxés ou des jeunes agressifs invétérés. Lorsque la justice n’est pas rendue, particulièrement lorsqu’une partie adverse est gravement lésée, des personnes, voire une bonne partie de la société seront portées à se faire justice elles-mêmes. Ce qui amenuiserait gravement l’autorité de l’État et exposerait ce dernier à d’autres formes d’ « humiliations » dans lesquelles personne ne trouvera son compte. Le problème des délinquants récidivistes qui sont régulièrement graciés à l’occasion de la fête de l’Indépendance ne cesse de se poser de façon crue dans la société. Combien de graciés, libérés de prison dans la matinée, ont commis l’après-midi du même jour, un crime ou un délit? Des spécialistes en criminologie n’ont pas hésité à tirer la sonnette d’alarme pour appeler à réfléchir à d’autres méthodes de coercition et d’insertion sociale. La commutation de certaines peines d’emprisonnement en travaux d’utilité publique, telle qu’elle a été initiée depuis 2010, peut constituer une solution idéale pour certains cas. L’incitation de certains prisonniers à préparer leurs examens de baccalauréat dans l’enceinte carcérale est aussi une alternative qui a donné des résultats qu’il y a lieu de capitaliser. En tout cas, face à la violence sociale, la solution carcérale devrait être l’ultime recours dicté par la nécessité de l’ordre social et de l’ordre public. Mais, cette solution ne devrait pas être privilégiée au détriment d’une vraie politique de la jeunesse orientée vers la formation et l’emploi, d’un réel aménagement du territoire capable d’arrêter l’exode rural et d’installer une culture de la ville, d’une politique culturelle bâtie sur la formation, les loisirs et le spectacle, d’une politique sportive intégrant le maximum de jeunes et diversifiant ses activités. La violence sociale n’est pas un phénomène propre à un pays ou une race. C’est plutôt l’horreur qui surgit du vide, sachant que la nature a indubitablement horreur de ce dernier.

Amar Naït Messaoud

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