Un roi, un homme d'État, un précieux repère

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Par Amar Naït Messaoud

Le colloque qu’organise, à partir d’aujourd’hui, le Haut Commissariat à l’Amazighité (HCA) sur le roi Massinissa, dans la commune même, El Khroub, où est érigé son mausolée, est un pas important vers la redécouverte de soi, de l’Algérie et du processus d’édification de l’État algérien qui a vu ses premiers jalons plantés dès que le royaume de Numidie fut constitué avec pour capitale Cirta, actuelle Constantine. Si les données historiques ont établi des vérités, des connaissances, des dates et des événements bien connus et enregistrés au cours des troisième et deuxième siècles avant l’ère chrétienne, entre lesquels s’est étalée la longue vie (90 ans) de Massinissa (238-148 avant Jésus-Christ), la transmission de l’histoire, les aléas d’une mémoire peu portée sur l’écriture, les tentatives des différents occupants de l’Afrique du Nord à occulter ou à pervertir l’histoire et l’authenticité du pays, ont fait que le fil conducteur a subi des ruptures, des blancs, au point où non seulement les noms de Massinissa, de Jugurtha et d’autres héros nationaux de l’Antiquité et même des royaumes berbères musulmans ont été occultés ou oblitérés, mais aussi, que l’image de l’organisation étatique et le souvenir de l’État dans l’imaginaire populaire ont subi de graves dommages qui s’assimilent à de l’oubli. En effet, l’histoire, avec toutes ses vicissitudes, n’a jamais fait de cadeaux au peuple amazigh de l’Afrique du Nord. C’est, en quelque sorte, la « Guerre de deux mille ans », comme a eu à la traiter Kateb Yacine au théâtre. L’État numide, qui a donné sa première configuration à ce qui deviendra plus tard l’Algérie, a rayonné dans la Méditerranée et a fait face au plus grand empire qu’eut connu le monde à cette époque-là les Romains. Après la résistance contre les Byzantins, les Amazighs résistèrent plusieurs années à la conquête arabe. Lorsqu’une grande partie de la population fut acquise à la religion musulmane, les Amazighs fondèrent le premier État musulman, Rustumide, et déclarèrent leur autonomie vis-à-vis du l’Orient musulman (les Abbassides). Les royaumes berbères musulmans participèrent à la grandeur de la civilisation andalouse, et marquèrent par leur force et par leur organisation leur présence en Méditerranée.  Le grand vide politique et institutionnel a commencé à être vécu et fortement ressenti à partir de l’occupation turque au début du 16e siècle. Malgré le prestige de la flotte maritime ottomane, l’Algérie a été marquée par une grande stagnation pendant trois siècles. Le territoire n’était alors vu que comme un gisement d’impôts au profit de la Porte Sublime, Istanbul. La tentative d’une organisation autonome en Kabylie, sous le nom du royaume de Koukou, aura fait long feu. Les administrations européennes parlèrent alors d’ « États barbaresques » pour qualifier les territoires sous occupation turque, et de « Régence d’Alger » spécialement pour désigner l’Algérie sans État national.   Ce vide institutionnel autochtone sera prolongé pendant toute la colonisation française. On eut droit alors à « l’Afrique du Nord qui retrouve sa latinité » (d’après Louis Bertrand), « nos ancêtres les Gaulois » (d’après les manuels scolaires de l’époque) et d’autres supercheries idéologiques destinées à pervertir l’histoire.  Si l’on compte depuis l’occupation ottomane, l’Algérie a perdu la notion et le souvenir de l’État pendant près de quatre siècles et demi. Cette « absence » dans l’histoire va coûter cher à l’Algérie indépendante, qui a commencé à édifier son État national sur des dérives historiques « concoctées » au cours de la formation du mouvement national qui a lancé ses premières idées et réflexions au début des années 1920. L’arabo-islamisme s’est présenté comme une vision exclusive qui a jeté un voile sur la dimension berbère du pays. Les Algériens, frappés par un dommageable ostracisme, continuent à se chercher. L’histoire, malgré les limites qu’on lui désigna pendant plus de trois décennies après l’indépendance, ressurgit, fait ses premiers pas et se reconstruit dans la clandestinité au moment où le parti unique du FLN tenait ses séminaires pour écrire ou réécrire l’histoire du pays.  Dès qu’il y a nécessité de faire référence à la notion d’État, de se chercher dans l’histoire pour connaître les types d’organisation sociale que l’Algérie a eu à connaître et qu’elle pourrait reproduire et prolonger, le nom de Massinissa émerge et surgit des profondeurs de l’histoire et des recoins les plus solides de la mémoire collective. Il apparaît comme le modèle unificateur des tribus et communautés pour construire un État. Le nom de Massinissa (à côté des autres noms comme Jugurtha, Takfarinas, Juba,…) est devenu presque un tabou dans l’Algérie du parti unique. Ce dernier assimile le nom du premier roi numide au « particularisme kabyle » des années 70 et 80 du siècle dernier par lequel l’identité de l’Algérie est revendiquée dans toute sa dimension et dans toutes ses composantes. Pourtant, le tombeau de Massinissa et à…El Khroub, une commune proche de la ville de Constantine. Cette dernière, sous le nom de Cirta, a été la première capitale de l’Algérie, avec le règne de Massinissa. Le nom de ce roi revient aujourd’hui pour être décrypté dans sa dimension d’homme d’État, de diplomate, de guerrier, et d’organisateur des institutions. La jeunesse algérienne a bien besoin de ces références, avec d’autres facettes de l’histoire qu’il y a encore lieu de vulgariser, dans ces moments de perte de repères culturels, d’hésitations et de questionnements.

A.N.M.

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