Un nouvel ordre à établir

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Par Amar Naït Messaoud

Les pluies diluviennes et les orages qui se sont abattus, ces derniers jours, sur certaines régions du pays ont révélé les tares et travers que traîne encore le cadre de vie dans notre pays, sous tous ses aspects. Par une maudite fatalité instituée par une gestion locale calamiteuse, les villes et villages d’Algérie continuent à naviguer à vue dans la prise en charge des affaires publiques, comme ils naviguent aussi, ces derniers jours, dans les eaux boueuses des pluies automnales qui ont envahi rues, boulevards et quartiers. C’est devenu presque un sort inévitable le lot de morts, de blessés et de sans-abris qui accompagnent les averses de septembre et octobre. Depuis plus d’une dizaine d’années, ce cycle macabre se reproduit dans pratiquement toutes les régions d’Algérie avec une régularité déconcertante. Tindouf, Bechar, Khenchla, Aïn Témouchent, Bouira, Béjaïa, ont eu à vivre des moments de panique indescriptibles suite aux flots qui ont submergé les rues. Même l’autoroute n’a pas échappé aux inondations. Des tronçons entiers, situés dans des dépressions, sont devenus le réceptacle des eaux au point où leur niveau en arrive à couvrir les roues d’un camion semi-remorque. Les murs de séparation en béton sont, dans certains endroits, complètement hermétiques. Là où il y a des canaux d’évacuation, ils sont rapidement obstrués par des objets hétéroclites ramenés par les flots. La gestion locale, c’est surtout ces habitations anarchiques, sans permis de construire, qui pullulent sur les versants d’oueds et parfois même dans le lit mineur de la rivière. Ayant été sollicités en période de sécheresse pour une habitation illicite, ces zones inondables se transforment en « démons » dès les premières pluies d’automne. Ce sont les enfants et les écoliers qui sont généralement les premières victimes de cette inconscience. Où est la mairie dans tout cela? N’est-ce pas que la gestion du dossier des constructions illicites lui revient? Le souvenir du déluge de Ghardaïa, qui avait fait plus de 100 morts pendant les premiers jours d’octobre 2008, est encore présent dans les esprits. Il a marqué la mémoire de la Pentapole pour toujours. Les experts et les aménagistes sont formels: C’est le résultat d’un désordre urbanistique et même sociologique, charrié par la trop forte mobilité des populations environnantes et faisant de Ghardaïa un foyer d’attractivité humaine non canalisée. Ce même facteur a aussi joué un rôle non négligeable dans les tensions communautaires que la région a vécues au cours de ces deux dernières années. Caniveaux comblés, fossés obstrués, lignes de construction sans rupture empêchant l’eau de partager ses flux et sa force, monticules de décharges sauvages accumulés pendant tout l’été c’est là une « mixture », jointe à la dénudation des versants de montagne suite au déboisement, qui se transforme en engin de la mort, entraînant dans son sillage véhicules, piétons et habitations.  Avant-hier, dimanche, c’est le mont de l’Ouarsenis qui a fait dévaler ses flots sur la ville de Tissemsilt, située au pied de cette montagne. Un spectacle de fin du monde s’y fit voir lorsque des dizaines de foyers furent noyés. Les habitants se mettent à courir dans tous les sens. La Protection civile tente de sauver ce qui peut l’être. Des branches d’arbres, de gros cartons, des sachets de différentes dimensions, de longs morceaux de tissus, ont bouché les regards, les fossés et même la chaussée. Cette dernière est devenue, à l’occasion, un torrent fougueux qui fait disparaître de la vue même les trottoirs.  On a eu à vivre de façon régulière des phénomènes similaires dans la nouvelle ville de Tizi-Ouzou. Les pentes du boulevard des frères Belhadj et la rampe de Hasnaoua déversent tous leurs flots dans la dépression du boulevard Krim Belkacem et de la Tour. L’eau étant « piégée », ne trouvant par où passer, elle s’élève à des hauteurs dépassant parfois les 50 cm. Le sommet a sans doute été atteint en 2008 lorsque certains magasins enregistrèrent une hauteur d’eau d’environ un mètre. L’eau étant boueuse, dès la décrue, une trace apparaît sous forme de ligne dessinée en terre ocre sur les murs de façade. Cette ligne doit servir les aménagistes et les hydrologues en tant règle de graduation de ce que l’anarchie urbanistique a pu générer comme dérives et catastrophes. L’autre point noir de Tizi-Ouzou, c’est aussi le site de la nouvelle guerre routière (Bouhinoun). Sur le plan géomorphologique, ce site est un véritable cône de déjection. Tous les ruisseaux et talwegs du versant de Bouhinoun s’y déversent sous forme d’entonnoir. Taxis, piétons et bus nagent dans une vaste mare dès que les premières pluies tombent en amont. Un spectacle désolant, d’autant plus qu’il s’agit d’une infrastructure publique réalisée il y a quelques années seulement. La mauvaise prise en charge des affaires publiques, le déficit de l’esprit d’aménagement du territoire, le manque d’imagination dans la projection urbanistique et le déclin de l’autorité de l’État ont installé un climat de déliquescence à tous les niveaux et dégradation inquiétante du cadre de vie, si bien que personne ne trouve son compte.

A.N.M.

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