Dans la pure tradition !

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Tradition oblige, et comme pour toutes les fêtes importantes, l’Aïd El-Adha est une occasion pour tous les membres de la famille, où qu’ils habitent, de se retrouver au domicile parental, pour y festoyer ensemble.

Mais ces dernières années, les changements sont palpables dans la société kabyle, notamment villageoise, où certaines traditions séculaires, spécifiques à cette fête du sacrifice, héritées de nos ancêtres, ont été sacrifiées sur l’autel de la modernité. La cherté de la vie y est également pour quelque chose. Et cette année en effet, une flambée des prix sans précédent a touché les viandes, les fruits et légumes et les vêtements, notamment ceux pour enfants. Par conséquent, cette fête religieuse, qui a de tout temps été considérée comme un facteur d’union entre les habitants d’un village, l’est de moins en moins. Elle était l’occasion d’une solidarité agissante, où les riches partageaient la viande avec les familles pauvres, où les portes demeuraient grand ouvertes et où chacun oubliait ses rancœurs. De nos jours, même si l’Aïd est célébré rituellement, il ne reste pas grand-chose des pratiques d’antan. L’individualisme a pris le pas sur l’altruisme et la cupidité de certains commerçants gâche la fête à la grande majorité des ménages. Ne se contentant plus d’une petite marge bénéficiaire, ils profitent de toute fête pour pratiquer des prix dépassant tout entendement. Bon nombre de familles, ne pouvant se permettre d’acheter un mouton, optent pour l’achat de viande. Dans la commune de Seddouk, plusieurs enclos de vente de moutons ont été installés par des maquignons qui font fi de la réglementation limitant la vente des moutons aux neuf points de vente arrêtés par la wilaya. Néanmoins, beaucoup de ces maquignons se plaignent de la mévente des moutons par rapport aux années passées. «Avant, j’arrivais facilement à vendre une bonne cinquantaine de moutons. Mais cette année, même n’ayant acheté que 10 moutons, il m’a fallu sillonner plusieurs villages pour n’en vendre que cinq à bon prix et carrément brader le reste», nous dira un maquignon.

Une boutique de fortune fait le bonheurdes citoyens

Dans le douar d’Amdoune n’Seddouk, un vendeur de poulet a eu l’ingénieuse idée de retaper à neuf, aux abords de la RN74, une petite baraque datant de la période coloniale. L’ayant dotée d’électricité et d’eau potable, il y propose toutes sortes de viande avec des prix adaptés à toutes les bourses. Nous y avons constaté un rush constant de clients. A l’extérieur, un enclos a été aménagé pour accueillir des moutons. Une cinquantaine, de toutes tailles, s’y serrait. Ils étaient cédés entre 38 000 et 40 000 dinars la tête. Sur la devanture de la baraque, ce sont des carcasses entières qui étaient suspendues à des esses de boucher. L’agneau à 1 500 DA le kg et le chevreau à 1 300. A côté à même le sol, une dizaine de tête de bovins étaient alignées devant une personne qui leur enlevait les poils au chalumeau, une autre les lavait et une troisième les découpait en morceaux et les exposait à la vente à 300 dinars le kg. A l’intérieur de la baraque, une partie de l’espace est réservé aux poulets vifs, vendus à 250,00 dinars le kg et remis au client égorgés et déplumés. Il faut souligner que la plupart des acheteurs sont des familles venant d’Alger pour passer la fête de l’Aïd El-Adha dans leurs villages d’origine à Ath Yala. Et visiblement, ils étaient satisfaits de la disponibilité de cette viande fraîche. Ils achetaient en effet, qui des carcasses qui des demi-carcasses, après avoir assisté à l’égorgement et au dépècement de la bête. «Je suis vraiment satisfaite du service. Je viens d’Alger où je n’ai pas trouvé autant de disponibilité de viande et à d’aussi bons prix. Riches ou pauvres, on trouve ici tout ce dont on a besoin. Je souhaite bonne fête à tous», a déclaré une mère de famille. Vendeur et acheteurs ont donc trouvé leurs comptes dans cette boucherie improvisée spécialement pour l’Aïd. Pour en revenir à la flambée des prix, celle-ci a atteint des pics jamais égalés au marché hebdomadaire de la ville de Seddouk qui s’est tenu, vendredi, malgré une pluie battante. «Je n’ai jamais vu une telle flambée des prix des fruits et légumes à la veille d’un Aïd», nous dira un citoyen. Les marchands eux s’en défendaient, en soutenant qu’ils ne prenaient que les marges habituelles et en expliquant que ces augmentations sont décidées à la base, par les producteurs ou les grossistes qui achètent sur pied. Les clients eux étaient unanimes à dénoncer cet état de fait : «Je n’ai jamais vu une telle envolée des prix. Des navets à 150,00 DA. De la carotte aux cardes, en passant par les piments, des poivrons, de la tomate et de la pomme de terre, rien n’est cédé à moins de 110 dinars. Les prix des fruits aussi ont considérablement augmenté à l’image des raisins qui ne dépassaient pas la barre des 150 dinars et qui, subitement aujourd’hui, ne sont cédés qu’entre 250 et 300 dinars», nous dira, outré un citoyen. Les vêtements ont également connu une sensible hausse de leurs prix dans la ville de Seddouk. Néanmoins, la quinzaine économique, installée à la gare routière, est venue à la rescousse des familles. Comme elle devait fermer ses portes le vendredi au soir, beaucoup de commerçants ont pratiqué des soldes, ce qui a arrangé les parents. Lors de notre passage, vendredi matin, il y avait un tel engouement qu’il fallait faire la chaîne et attendre son tour pour accéder même à l’intérieur du chapiteau. « Même si l’attente est longue, ça vaut la peine d’être patient. Non seulement j’ai acheté des vêtements pour l’Aïd à bon prix, j’ai même acheté un ensemble de fauteuils de salon soldé à 25 000,00 dinars, alors que son prix initial était de 45 000,00 dinars», nous dira une femme, la mine réjouie.

Vêtement, fruits et légumes, viande… la flambée n’a pas fait de jaloux !

Par ailleurs, le marché de viande le plus important a eu lieu au centre-ville d’Akbou. Une ruelle toute entière est occupée par des boucheries auxquelles se sont joints des marchands occasionnels qui ont installé des tables garnies de viandes  de toutes sortes sur les trottoirs. Mais les prix étaient là aussi excessivement élevés. La viande bovine cédée à 900 dinars, l’ovine à 1 500 et la caprine à 1 200. Le foie était à 1 800,00 dinars et un paquet de bouzellouf ovin, comprenant une tête et quatre pieds, à 1 200 dinars. Dans ce marché qui semblait n’être l’objet d’aucun contrôle, beaucoup d’acheteurs disent avoir été arnaqués. C’est le cas d’Akli qui nous racontera sa mésaventure, après avoir acheté un lot de bouzellouf : «C’est au moment de découper la tête en morceaux que j’ai senti une véritable puanteur. J’ai dû tout bonnement l’enterrer dans mon jardin». Toutefois, et en dépit de toutes les augmentations qui ont vraiment érodé les bourses des familles, le samedi, 1er jour de fête, a été célébré dans la joie, aussi bien par les enfants que par les adultes qui ont oublié un tant soit peu, les déboires d’une semaine passée à faire des comptes. La ville de Seddouk a connu donc une belle animation, avec des rues bondées de monde. Au petit matin, il était difficile de trouver une place de stationnement aux alentours des mosquées. La décongestion n’a eu lieu qu’à partir de 10h. Mais ce qui a mis du baume au cœur des citoyens cette année, c’est que l’instruction donnée par le ministère du Commerce aux commerçants d’ouvrir leurs boutiques le jour de l’Aid a été suivie. En sillonnant les grandes artères de la ville, on a constaté la disponibilité des produits de première nécessité tels que le pain, le lait, les fruits et légumes, les viandes, etc. Les villages aussi ont connu une agréable animation. Et tous les espaces étaient propres suite au mot d’ordre que se sont donné les villageois, chacun devait nettoyer devant sa porte. La fête a commencé très tôt le matin, par des visites au cimetière pour un recueillement sur les tombes de ceux qui nous ont quittés.

Le jour J, c’est la joie !

De retour du cimetière, les femmes ont préparé des tables garnies de gâteaux et habillé les enfants. Les hommes se rendirent à la mosquée pour la prière de l’Aïd. A la sortie de la mosquée, commencèrent alors les visites aux proches (Aghaffar). Les enfants, tout fiers de leurs nouvelles tenues, ont occupé rues et placettes. Fait à saluer cette année, les pétards se sont faits très rares. Autre fait marquant cette année, le nombre de familles qui ont égorgé un mouton fut des plus réduits. La plupart des villageois nous avoueront s’être contentés de quelques kilos de viandes. Quant à certaines familles, elles se sont mises d’accord pour sacrifier collectivement un veau. Le deuxième jour de l’Aïd est habituellement consacré aux visites des proches qui habitent loin. Beaucoup de fourgons de transport de voyageurs étaient mobilisés pour la circonstance assurant des navettes vers différentes destinations. Dame nature était de la partie, gratifiant les familles d’une belle journée automnale ensoleillée. Par ailleurs, et fait exceptionnel, beaucoup d’émigrés ont préféré prolonger leurs vacances d’été pour participer à la célébration de l’Aïd au village.

L. Beddar

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