Béjaïa l’enchanteresse

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Ces dernières années, les tarifs promotionnels pratiqués par les compagnies aériennes, en basses saisons, favorisent le retour des émigrés au printemps et en automne.

Des émigrés partagés entre deux destins et deux cultures. Même vivant loin de leurs villages, l’amour du pays est tellement fort qu’ils n’oublient jamais leurs racines, cette terre nourrie de la sueur et du sang de leurs aïeux qu’ils retrouvent, malheureusement, le temps d’un séjour. Cette année, si certains sont revenus durant les grandes vacances et beaucoup d’entre eux ont prolongé leurs séjours pour participer à la fête de l’Aïd El-Fitre, d’autres, évitant les chaleurs estivales et les brouhahas diurnes et nocturnes propres à cette saison, ont préféré revenir en automne passer la fête de l’Aïd El Adha en famille et vivre la campagne de cueillette des olives. Leur objectif aussi est de s’émouvoir des paysages enchanteur que leur offre la Kabylie et plus particulièrement Béjaïa, l’une des plus belles régions d’Algérie qui accueille à bras ouverts les siens et les touristes qui les accompagnent. Mohand, la soixantaine passée et natif de Seddouk, fait partie de la génération d’émigrés emmenés très jeunes en France par ses parents. Il a fréquenté l’école française et l’intégration a été facile pour lui. Accompagné de sa femme française et de ses enfants, il a ramené avec lui un couple français qui a découvert, pour la première fois, la Kabylie. Il a accepté sans se faire prier de nous livrer impressions. « Mes parents, dès mon jeune âge, m’emmener avec eux pour chaque retour au village. Aujourd’hui, ils sont morts. Ils m’ont laissé leur maison et j’ai acheté un véhicule immatriculé d’ici que je retrouve à chaque séjour pour mes déplacements. Pour leur incruster l’amour du pays comme mes parents l’ont fait pour moi, je racontais à mes enfants ce que nous ont légués nos parents et grands parents. Je suis arrivé à les sensibiliser et cette année, ils ont émis le vœu de m’accompagner pour découvrir les merveilles de mon pays qui est aussi le leur. Exceptionnellement cette année, j’ai ramené même avec moi ce couple français à qui je racontais mon village, ses vertus et ses valeurs et ils ont fini par me demander de le découvrir avec nous. Ils sont hyper contents de visiter des coins touristiques tels que les villages tombés en ruines, les stations thermales à l’état traditionnel, de la nature sauvage et une population accueillante », a expliqué notre interlocuteur. Ses accompagnateurs français lui emboitent le pas pour décrire leurs émotions : « Maintenant, nous savons qu’il existe un pays pas loin de chez nous, qui est juste à deux heures de vol où nous pouvions vivre la paix et la tranquillité au milieu de la nature qui a façonné des paysages verdoyants, charmeurs et irrésistibles qui nous manquent tant en France ». Cette année même l’automne est beau. Le soleil a pris le dessus sur la pluie qui n’apparait que timidement et rarement. Ils sont venus pour 10 jours, un délai très court avec un programme de sites à visiter très chargé d’autant plus que Mohand  ne veut rien faire rater à ces accompagnateurs de tout ce qu’il leurs a promis. Rejoins par une autre famille, le groupe s’est donc élargi. Leur première visite fut le barrage de Tichy Haf, un océan d’eau qui attire des visiteurs. Il a déjà acquis ses lettres de noblesses d’un site touristique par excellence. Ils étaient impressionnés par cette mer artificielle formant, avec la nature verdoyante, un panorama splendide.

Un couple français en parle

 Ce qui est fabuleux, ils ont pris des sandwichs avec eux et ils ont piqueniqué en pleine nature en s’asseyant par terre sous l’ombrage d’un grand oliver. Les vacanciers ont visité ensuite la ville de Béjaïa, notamment l’ancien bâti qui les a fascinés. Ils sont montés jusqu’à Yemma Gouraya, cette forteresse inexpugnable qui surplombe et veille sur la capitale des Hammadites. Ensuite, ils ont fait un crochet aux aiguades, un site féerique et écologique adulé pour sa vue imprenable sur la mer. Ils ont terminé leur périple par une virée à Tichy, une station balnéaire réputée pour sa plage aux eaux cristallines et aux sables dorés. Hammam Sillal et le village mythique d’Ath Khiyar dans la commune de Béni Maouche, rasé par l’armée française durant la guerre d’Algérie, sont les derniers sites visités. Ils repartiront avec autant de subtilités qui ont marqué leur séjour car ne lésinant pas sur l’usage des appareils photos et des caméscopes, prenant des photos et tournant des films pour immortaliser des souvenirs qu’ils ne manqueront pas de montrer à leurs amis, aux membres de la famille, etc. Une autre frange de la communauté émigrée ne pense qu’à revenir un jour définitivement au pays. C’est le cas de Belaid, septuagénaire, qui a vécu toute sa jeunesse en Kabylie et qui est partie à l’âge adolescent en France, juste après l’indépendance du pays. Attaché à cette terre qui l’a vu naître et grandir, il est parti dans le but de travailler, amasser de l’argent qui servira à construire une maison, acheter des parcelles de terre qu’il retrouvera à la retraite en rentrant au pays. Mais voilà que la retraite est belle et bien acquise depuis belle lurette mais le rêve de Belaid, qui est une perspective de retour définitif, ne s’est pas réaliser. Entravé par l’épouse qui refuse à se plier à ce pacte de départ de crainte de perdre le statut de liberté acquis en France. Pour elle, revenir au pays est synonyme d’un emprisonnement au village quand ce n’est pas à la maison comme elle l’était autrefois. Pour cela, il revient pour quelques mois de vacances en célibataire sans son épouse. « J’ai construit, dans mon village, une grande maison qui se dégrade au fil des ans du fait qu’elle est restée inhabitée depuis de longues années. Pour la réparer, j’ai dépensé une somme faramineuse. J’ai ramené de la vaisselle de France. Tout ce que je trouve de beau, je l’achète pour le ramener ici. Cela fait un mois que je suis revenu et je dois déjà repartir la mort dans l’âme, car j’aimerai bien y rester encore quelques mois si ce n’est les coups de téléphone incessants de mes enfants qui me demandent à chaque fois de rentrer », a fait savoir Belaid. Par contre Hamimi a choisi la solution radicale de se remarier au bled. Leur territoire étroit, d’un relief accidenté de surcroît, ne permet que la pratique des cultures arboricoles avec prédominance de l’olivier et du figuier. Cette économie agricole ne leur procure pas les ressources nécessaires à même de subvenir à leurs besoins. Il leur fallait, donc, rechercher à palier cette insuffisance par d’autres ressources. Leur dévolu a été jeté sur l’immigration qu’ils ont commencé à pratiquer dés le 19e siècle. D’abord, ils allaient travailler dans les plaines de la Mitidja et d’Annaba où ils exerçaient comme ouvriers agricoles. Ensuite, ils sillonnaient tout le pays en s’installant partout. Avec l’avènement de la colonisation, ils traversaient la méditerranée pour travailler comme ouvriers industriels dans les mines du nord de la France. Après l’indépendance, ils ont poussé loin leur immigration en découvrant l’Amérique du nord, le Canada et les USA. Le progrès a favorisé une émigration massive.

Belaid, Hamimi…pour un retour définitif au pays

De nos jours, les statistiques en vogue montrent que les trois quarts environ des hommes kabyles, en âge de travailler, vivent en dehors de la Kabylie et la plupart avec leurs familles. Ce qui est bon à souligner c’est leur attachement à la terre ancestrale. D’ailleurs, la majorité des kabyles ne se fixent que très rarement en dehors de la Kabylie. Leur seul but c’est d’aller ramasser des sommes d’argent, acquises parfois durement, pour construire une résidence au village natal, entretenir les champs, même sachant que les récoltes ne couvriront même pas les frais engagés. Leur désir est de revenir les trouver après la retraite pour finir paisiblement ses jours sur la montagne, jusqu’à la mort. La Kabylie est une région d’immigrants qui a enfanté des hommes de valeur dont le talent reconnu à travers le monde. Elle est dotée de structures sociales qui permettaient aux hommes de partir longtemps et loin sans s’inquiéter pour leurs familles. Le système familial traditionnel prend en charge les membres restés au village. Le développement de la solidarité entre les membres de la collectivité est la base de l’organisation sociale exemplaire ce qui fait que nos émigrés ne peuvent rester longtemps sans rendre visite aux leurs pendant les vacances, temporairement pour assister aux funérailles ou aux mariages des membres de leurs familles ou rentrent définitivement au pays dès la retraite. Les Kabyles ont commencé à émigrer en France avant la première guerre mondiale. Après le nord de la France où ils travaillaient dans des mines, c’est la banlieue parisienne qui les accueillait. Ils s’installaient à Colombe et à la plaine seine Saint Denis en raison de la concentration de l’industrie française dans ces deux départements entièrement urbains où les paysages naturels sont quasiment inexistants. Leurs conditions de vie leurs conviennent. Ils sont hébergés dans des foyers conçus pour les africains. Avec moins de charges, les salaires qu’ils percevaient leurs permettaient de vivre avec une partie et le reste est envoyé à la famille restée au village. Cependant, une infime partie emportée par la belle vie, se remarie avec des françaises et abandonnent les familles laissées au bled. À cette époque, emmener sa famille en France était encore un tabou pour la plupart d’entre eux. La reconstruction et le relèvement de l’économie française, après la seconde guerre mondiale, impliquaient de nouveau un appel aux habitants de la rive sud de la méditerranée. Cela a provoqué le départ massif de jeunes kabyles, sur les traces de leurs aïeux dont certains émigrent à l’âge adolescent. Cette génération comme celle des années 60 ont beaucoup souffert car avant la nationalisation des hydrocarbures, l’Etat Algérien comptait beaucoup sur les rentrées en devises émanant de ces émigrés d’où l’instauration d’une obligation de change par personne et pour chaque rentrée. Car, l’économie Algérienne se limitait aux activités agricoles de subsistance. L’évolution des meurs chez les émigrés kabyles a commencé après la génération qui a commencé à fouler le sol français durant les années 60, c’est-à-dire après l’indépendance du pays, car l’économie algérienne de l’époque, qui était basée sur l’agriculture traditionnelle, était dérisoire, ce qui a fait que la France était devenu le pays dont rêvaient nos jeunes d’hier. Après des années de prospérité ayant suivi la nationalisation des hydrocarbures qui a donné au pays une manne financière le hissant au rang de pays émergeant, la crise économique survenue à la fin des années 80 a fait apparaître une troisième génération d’immigrants vers, cette fois-ci, l’Amérique du nord, particulièrement le Canada, où les conditions d’installation sont très facilitées mais sélectives, car ne prenant que les cadres diplômés, contrairement à la France qui ne fait qu’adopter des mesures draconiennes allant jusqu’à la suppression de certains textes de loi avantageant dans le passé nos jeunes désirant s’installer dans ce pays avec qui nous gardons des liens ancestraux très anciens et solides : mariages mixtes, regroupements familiaux…  Cette situation a fait naître, d’ailleurs, un grand nombre de citoyens en situation de séjours provisoires importants. C’est la génération des harraga et sans papiers. Un reportage inspiré en partie du grand chanteur de l’émigration : feu Slimane Azem qui disait dans l’une de ses chanson traitant de la vie des émigrés Kabyles de France : « Midnoussa nevgha anoughal, minoughal nevgha adnas, anetsrouh anetsoughal amifrakh ifiralas », par nostalgie, qui pour rendre visite aux ascendants âgés ou malades.

L. Beddar

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