Igherbienne toujours à la traîne

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Rien n’indique, en longeant le CW6 à partir de Souk El Hed vers Tala Tegana, qu’entre Ibdach et Berber se trouve un autre village au passé glorieux : celui d’Igherbienne.

Cette localité forte de ses 3000 habitants, semble, pour les visiteurs que nous sommes, figée dans le temps et dans l’espace, tant le progrès sous ses formes multiples tarde à frapper à ses portes. Pourtant, de par le passé et selon l’aveu même des habitants des localités limitrophes, ce village faisait parler de lui avant même le déclenchement de la lutte pour l’indépendance. En effet, selon moult témoignages recueillis sur place, le village d’Igherbienne était le fief du militantisme.  C’est ainsi que nous avons appris, auprès des «anciens» de la région, que les grands noms de la guerre de la libération, comme Krim Belkacem et Ouamrane, ont souvent séjourné dans ledit village.  Le militantisme trouvait sa vocation auprès d’un personnage clé et charismatique du village en la personne de  M’hand Ou Slimane, qui était, à la fois, un militant de la première heure et un artificier, puisqu’il fabriquait des bombes artisanales. C’est un martyr qui est tombé l’arme à la main. Il n’est pas étonnant, dès lors, de découvrir que, pendant la révolution, le village à été un pourvoyeur de combattants de premier ordre, et que si les premiers moudjahidine à avoir participé à la fameuse « opération l’oiseau bleu » sont issus d’Igherbienne, ce n’est point le fait d’un hasard. Le village a aussi donné naissance, par le passé à des hommes de légende, comme Lounes Igherbienne et Mahmoud N’ath Slimane, bandits d’honneur qui ont défrayé la chronique à leur époque. 

Un passé glorieux

Pourtant, malgré ce passé «bondé» de gloires et d’honneur, le village semble, aujourd’hui, se refermer sur lui-même et se complaire dans son isolation et l’attente. Le chemin qui y donne accès et qui traverse le village de bout en bout est étroit et décourage les automobilistes. Y circuler est un véritable jeu d’équilibre et de prouesse. Son élargissement est une urgence afin de faciliter la circulation de plus en plus dense et qui rend la rentrée ou la sortie du village problématique. Autre signe qui met en évidence la stagnation dont souffre le village : la stèle dédiée aux martyrs, implantée à la sortie Nord du village il y a quelques années de cela, et qui tarde à trouver finalisation pour des raisons obscures et qui, selon l’avis de tous, doit être menée à terme pour honorer, comme il se doit, les nombreux  martyrs du village. Autre anomalie qui démontre que la citée souffre  d’un délaissement évident est le cas de la fontaine du village, elle qui a abreuvé tant de familles jadis et dont les eaux, à cause de la pollution, sont devenues inconsommables. Mais ce qui est, peut-être, le plus aberrant c’est l’état du réseau d’assainissement, qui à été réalisé sans aucune étude préalable du temps des DEC par les villageois eux-mêmes et qui est loin de répondre aux normes requises. Il nous est loisible de constater que les conduites déversant les eaux usées à même les deux rivières en contrebas du village ; ce qu’a affirmé d’ailleurs un habitant outré. « Ces conduites, en fait, polluent plus qu’ils n’assainissent. Imaginez le calvaire des riverains, surtout pendant la saison chaude, c’est quasiment invivable», jugera-t-il.

Victime ou coupable ?

Ces derniers temps, quelques pistes ont été malgré tout, ouvertes. Mais, à vue d’œil, elles se dégradent car non bitumées. « Si on prend, juste pour l’exemple, la piste ouverte voilà deux années de cela et qui passe par le lieu dit Tamaright, sa dégradation est constatée de visu. Aujourd’hui, elle est presque impraticable ; et avec l’hiver qui s’annonce, je doute fort qu’elle puisse tenir le coup. Ce qui consiste à revenir à la case de départ et refaire les travaux de fond en comble. C’est malheureux ! », se désole-t-il.  Mais la question récurrente est celle relative à l’explication de la cause des retards accumulés par le village en matière de développement? La question est d’autant plus pertinente, quand on sait que le village d’Igherbienne ne manque ni d’intellectuels ni de cadres ni de compétences.  Mieux encore, il a vu la naissance, de par un passé récent, d’une association culturelle « Tagmat », qui avait initié pas mal d’activités culturelles.  Sous l’égide de l’association culturelle Youcef Ou Kaci, association phare de la commune, le village a accueilli les activités liées au festival de poésie Youcef Ou Kaci et Si Mohand OU Mhand. Par ailleurs, le village peut se targuer de l’esprit de l’entraide, qui est magnifiquement implanté parmi sa jeunesse. Mais alors, demandera-t-on, pourquoi donc tout ce retard ?  Pour Belkacem, ancien président du comité de village, la raison est toute simple : « le village est otage des idées conservatrices héritées du passé. Un esprit qu’on peut qualifier d’aristocratique. Selon ce raisonnement qui tient de sociologie, s’ouvrir aux autres, ramener le progrès, ouvrir des pistes, des commerces,… risque de faire perdre aux notables certains privilèges qu’ils croient détenir grâce à une certaine aura. Chose absurde évidement. Pour avancer, il faut oser casser certains tabous qui sont en réalité des freins et non des boucliers ». Dans le prolongement de ce raisonnement, Mohamed qui fait partie lui aussi, de l’un des anciens comités du village dira : «  il a fallu lutter dur pour convaincre les tenants de l’immobilisme qu’il faut changer de visions. Nos enfants ont besoin de vivre leur époque et de jouir du bienfait de la modernité. Sauvegarder des valeurs ne consiste pas à priver notre progéniture des bienfaits de la modernité. Aussi, nous estimons que tout est à faire et doit être fait pour arrimer ce village au passé glorieux, à la rampe du progrès. Il est temps aussi pour que les jeunes du village sortent de leur coquille et investissent le terrain ». En tout cas, tel est le souhait de beaucoup de personnes au niveau du village. Tous espèrent que le nouveau comité du village pourra relever ce défi et donner un cap à cette cité afin de renouer avec son faste d’antan.

A.S Amazigh.

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