Cours de soutien ou arnaque ?

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De plus en plus de parents de lycéens, de collégiens et même d'écoliers, à Bouira, sont persuadés du caractère indispensable des cours particuliers dits « cours de soutien », surtout à l'approche des examens de fin d'année scolaire.

Pour les pères de famille, la réussite de leur progéniture n’a pas de prix, quel que soit leur revenu. Ils n’hésitent pas à mettre la main dans la poche. C’est un créneau qui rapporte, les élèves déboursent chaque mois et pour une seule matière 4000 DA pour le programme de la 3e année secondaire, 2000 DA pour le programme de la 4e année moyenne et 500 DA pour la préparation de l’examen de fin de cycle primaire. Parfois ils confient leurs enfants à des diplômés en chômage sans aucune expérience, à l’intérieur de leurs maisons et il arrive que des cours soient assurés à l’intérieur de locaux commerciaux ou de simples garages, malgré l’interdiction formelle du ministère de l’éducation.

Cours de soutien ou commerce informel ?

En effet, cet enseignement informel et clandestin, ne se limite plus aux classes de terminale, il a gagné tous les niveaux. Même les élèves nécessiteux, qui ne savent plus où donner de la tête, sont contraints de suivre ces séances de soutien, ils cèdent à la pression de leurs maîtres. Les parents estiment que «les enseignants ne se donnent pas à fond en classe, ils ménagent leurs efforts pour les cours particuliers». Il ne s’agit plus de séances de soutien scolaire, mais de cours magistraux, qui sont généralement dispensés dans des lieux inappropriés : des appartements non fonctionnels, des salles insalubres et même des garages, pour un effectif d’élèves qui dépasse largement les normes. Ainsi, le phénomène des cours particuliers est devenu un créneau lucratif pour certains enseignants sans scrupules. Ils font des affaires sur le dos d’innocents élèves et leurs familles, en dépit des règles éthiques et déontologiques et des lois interdisant ce genres d’activités qui se fait en dehors des établissements scolaires. A Bouira, ces cours suscitent un engouement particulier, notamment durant les vacances scolaires ou à l’approche des examens. Des enseignants exigent 500 à 800 DA l’heure pour un cours particulier. Un peu partout à l’échelle de la wilaya, les classes de cours et les boîtes à bachot (à caractère illégal) fonctionnent à plein régime en faisant miroiter des perspectives séduisantes. Les élèves des classes d’examens et même de passage suivent des cours à l’extérieur des établissements scolaires et leur nombre s’accroît. Leur ultime espoir est mis dans les cours de rattrapage pour pallier leurs insuffisances, décrocher leur diplôme ou assurer leur passage. Pour éviter cet échec, il leur reste une seule solution : ce sont les cours. Engrenage fatal qui guette des milliers de familles. Désormais, le phénomène des cours particuliers ne touche pas seulement les catégories sociales aisées. Si les enfants de cadres supérieurs et de membres de professions libérales en sont les principaux clients, des catégories beaucoup plus modestes y ont également recours, notamment les employés. Et les élèves qui ne prennent pas de cours sont dissuadés par le prix. «Allah ghaleb, mes parents n’ont pas les moyens de me payer les cours», nous avoue une élève d’une classe de terminale rencontrée dans une bibliothèque du centre-ville d’Aïn-Bessem, une commune de l’ouest de la wilaya de Bouira, en train de bachoter, avant d’ajouter : «C’est vrai qu’en faisant des cours de soutien, ça aurait été mieux pour mes révisions, mais bon, je fais de mon mieux en révisant ici seul, et pour l’instant ça marche bon train, surtout quand on dispose d’un lieu aussi calme et agréable à notre service !». La plupart des lycéens affirment être reconnaissants envers leurs parents et conscients du sacrifice qu’ils font. D’autres élèves affirment, par ailleurs, que c’est leurs parents eux-mêmes qui les incitent à s’inscrire aux cours de soutien : «J’ai beau essayé de faire comprendre à mes parents que ces cours ne servent à rien, malheureusement ils n’arrivent toujours pas comprendre. J’avoue que c’est gênant, mais je n’ai pas d’autres choix que de leur obéir et de les comprendre aussi, car pour-eux il faut que je réussisse mes études ! », Nous affirme Iman, une jeune lycéenne à Bouira.

La réussite à n’importe quel prix !

À leur tour, les parents ne lésinent pas sur les moyens. Mais à quel prix ? Le coût pour les familles varie selon la formule retenue, mais aussi pour chaque cas individuel. Il faut compter de cinq cents à huit cents dinars l’heure pour un cours de groupe assuré par un enseignant individuellement. Par groupe d’enseignants, il faut multiplier le prix par le nombre des matières enseignées. Certains enseignants demandent 800 DA à 1000 DA l’heure pour un cours particulier, selon que les cours ont lieu à son domicile ou à celui de l’élève. Selon certaines langues, pour un cours particulier, les enseignants demandent souvent plus de 800 dinars de l’heure. Les chiffres s’entrechoquent et donnent le tournis. Parfois, il y a trop d’exagération dans les récits concernant les prix. La seule vérité est que pour un volume horaire de quatre à six heures de séances collectives, les élèves paient huit cents dinars chacun, nous renseigne une élève de la classe terminale des sciences. La demande de cours des mathématiques et de langues, est importante. Rares sont les enseignants qui aident les enfants gratuitement. Des élèves des classes de terminale nous ont parlé de quelques-uns dont le nombre se compte sur les doigts d’une main. «Les élèves viennent ici pour des séances de deux heures hebdomadaires de mathématiques ou de physique. Répartis en groupes de quinze à vingt de même niveau, ils consacrent un tiers de la séance à des rappels de cours et le reste du temps à des exercices», nous explique un propriétaire d’une boîte à bachot qui prépare les élèves de façon intensive à des examens. «Pour la question du prix, il se contente d’observer que le cours en petit groupe de même niveau crée une certaine émulation et s’avère plus stimulant», Il fait aussi remarquer que les élèves paient moins cher que pour une leçon particulière. Cette mode de cours de soutien s’est vite répandue dans toutes les communes que compte la wilaya de Bouira. Ils sont disponibles pour tous les niveaux et tous les cycles, du primaire jusqu’au lycée, comme l’indiquent des affiches placardées un peu partout aux centres des villes, alors que les élèves qui passeront leurs examens de cinquième année, ceux du BEM ou bien ceux du BAC, restent les plus intéressés par ses cours. Les élèves essayent de compenser leurs déficits et manques dans certaines matières principales, telles que les mathématiques, les sciences et les lettres, mais aussi les langues étrangères le Français et l’Anglais. Deux langues étrangères dont les résultats au niveau de la majorité des établissements de la wilaya sont alarmants, voire même désastreux.

Pratique totalement illégale

Alors que le ministère de l’éducation avait interdit formellement ce genre de cours payants à l’intérieur des établissements scolaires depuis l’année 2000, il existe des cours de soutien encadrés par les responsables pédagogiques. Ces derniers sont facultatifs et totalement gratuits pour les élèves et à l’intérieur même des établissements scolaires. Cependant, des enseignants continuent à exercer ce genre de commerce informel, car rentable et même enrichissant pour certains d’eux. A l’intérieur de leurs domiciles familiaux, dans des locaux commerciaux ou simplement dans des garages loués pour cette occasion. Ces lieux n’offrent aucun confort pour les élèves. Ces derniers évoluent dans le noir, le froid et à l’étroit, sans aucun moyen pédagogique. Des conditions tout simplement anti pédagogiques et lamentables. En 2010 du temps de l’ex-ministre de l’Education, M. Ben Bouzid, de nombreuses opérations (coup de poing) ont été menées avec l’aide des éléments de la police, notamment à Alger et dans les grandes villes du pays, ou plusieurs enseignants ont été rappelés à l’ordre et traduits devant les juges. Cependant et depuis cette date, aucune autre action n’a été menée pour atténuer la flambé de ce phénomène. Pour leur part, les parents d’élèves préfèrent payer une moyenne de 2000 DA par mois, pour s’assurer de la réussite de leurs fils, alors que généralement le résultat est connu d’avance. Pire encore, certains parents d’élèves, nous ont confirmé que quelques enseignants obligent leurs élèves à s’inscrire à leurs cours de soutien. «Il est vrai que je ferais tout pour voir mon fils réussir, quitte à payer comme je le fais maintenant, mais ce qui est désolant c’est de voir des enseignants pousser nos gamins à s’inscrire à leur cours payants, faute de quoi, ils feront subir des punitions de tous genres à nos enfants, c’est tout simplement du chantage ! Les responsables du secteur doivent agir pour mettre un terme à ces agissements irresponsables !», se désole Rachid, un jeune parent d’un élève inscrit en cours de soutien. Ainsi, ces cours payants sont devenus au fil du temps, une obligation pour les parents d’élèves. Aussi, par manque d’éthique pédagogique, certains enseignants profitent de l’ambition des parents, de voir la réussite de leurs progénitures aux différents examens et se transforment en de véritables marchands de savoir, pour s’enrichir sur le dos de leurs élèves. Selon des enseignants, c’est un effort de plus alors il doit être rémunéré mais pourquoi ne pas faire ce même effort à l’intérieur des classes, surtout que les enseignants sont bien rémunérés ? En tout cas, c’est aux responsables de la direction de l’éducation de Bouira d’agir pour en finir avec ce business, qui nuit réellement au système éducatif national.

Oussama Khitouche

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