Reportage de Djaffar Chilab
On est tombé nez à nez avec Mohamed Hilmi, jeudi dernier au restaurant de l’hôtel Lalla Khedidja de Tizi-Ouzou. A sa table, il y’avait son épouse et deux jeunes. Renseignement pris, l’un de ces derniers n’est autre que le président de l’association Tharoua N’Gaya de Rédjaouna. Le collectif lui prépare trois journées, du 10 au 12 mai prochain, en hommage. On veut en faire un évènement grandiose. En attendant, l’association l’épaule dans sa mission. Il cherche des comédiens pour mettre son scénario sur écran. C’est tout qu’il consentira à lâcher sur la question. » Il est bouclé, sur le propre même, mais je ne peux rien vous dévoiler. Pas dès maintenant Quand même ! Pour le moment, il restera mon petit secret. Ce que je peux dire, c’est que ça sera pour la nouvelle chaîne Kabyle qui sera lancée incessamment. On en discutera si vous voulez tout à l’heure… » Le rendez-vous était donc pris pour après le casting à la maison de la culture Mouloud Mammeri. Sur place, dans le petit théâtre de l’établissement, sa femme ne le quittera pas d’une semelle. Elle était là, à ses côtés à la première rangée. Derrière, l’assistance était très colorée, et de tous les âges.
«Nekni Netartar, l’avenir c’est les jeunes !»
En face sur la scène, les candidats se succédaient pour faire leur show. Le spectacle n’était pas ennuyeux. Le vieux avait l’air de bien apprécier. Il claque des mains, et sert à volonté des « Bravo ! » A partir de l’estrade, aucun ne manquera de lui faire un clin d’œil particulier. « D’da Moh » avait la cote. Mais lui se faisait modeste. « L’avenir c’est vous, Nekni Netartar (on est foutu) » leur balançait-il lorsqu’il devait monter à son tour pour dire un petit mot. Ce fut un discours précis, sérieux, et jovial qui incite à l’écoute, à la méditation mais aussi au rire. Bref c’était du » Hilmi » au naturel qui rappelle les » sketch chorba. » L’homme ne changera rien à sa façon, à son attitude, à son ton lorsqu’au bout de la séance on le prenait en aparté pour un brin de causette. Il résumera ainsi sa jeunesse : » C’est simple Mohamed Hilmi est né berger, d’ailleurs mon premier livre que j’ai édité je l’ai intitulé : De la flûte du berger au….mais tout ça tout le monde le sait. Ce qu’ils ne savent pas peut-être c’est le nombre de mes fourchettes, de mes cuillères, et des serviettes à la maison, et la réponse est chez ma femme. Elle est porte parole de la cuisine, mais sinon pour le reste tout est dans la rue. » Il ironise, on a l’impression qu’il le fait exprès mais il n’y a rien de cela. C’est sa nature. Mais il lui arrive de se retenir, et se prendre très au sérieux, notamment pour évoquer sa région natale, Azzefoun, cette contrée qui » a donné le plus grand nombre d’artistes à la culture Nationale, pas seulement Kabyle. Je dirai même universelle. Iguerbouchene est de cette renommée, il a quand même fait des musiques de filmes étrangers, en plus de tout ce qu’il a fait chez nous. Je citerai aussi El Aânka, Rouiched, Mustapha Badi, Fellag, Boudjemâa El Aânkis, Hadj M’rizak, Issiakhem, ou mazal, ou mazal… » Mais tout cela, et tous ceux-là font partie déjà du passé pour Hilmi. Son souci, son bonheur c’est d’évoquer le présent. » Le passé c’est du passé, il m’a juste permis d’être ici pour voir l’avenir. La télé Kabyle démarre bientôt, et je suis là pour chercher des visages nouveaux. J’aurai pu prendre une émission si j’étais un matérialiste mais je me dis que peux apporter un Tchavtchac comme moi ? Rien. Je veux quelque chose de nouveau, un souffle, du sang neuf pour cette télé. C’est comme ça que je conçois mon arrivée dans cette télé. » » Et j’ai été rassuré après ce que je viens de voir. Franchement, j’ai été agréablement surpris, et je me reproche de ne découvrir tout ce potentiel qu’aujourd’hui. Mais c’est une pépinière… » Hilmi s’avouera heureux, et honoré par sa découverte à la veille du lancement de la chaîne. Quand ? La question est pertinente, et sa réponse vaut pour un scoop. Mais il faudra voir ailleurs pour espérer l’avoir. » Je ne suis pas le directeur de la Télévision qui est mon ami pour me permettre un tel effet d’annonce. J’ai appris que ça sera pour peut-être le mois d’avril. Je sais que c’est imminent. De toutes les manières, ça sera au courant de l’année. » Voilà. Hilmi ne dit visiblement pas tout. Mais inutile de fouiner davantage au risque de le voir remettre les fourchettes, les cuillères, et les serviettes sur la table…On passe alors sur le sujet. Et il se remet à reparler de » ces jeunes qui m’ont vraiment fait plaisir. Je repars d’ici enflammé de joie, et avec un moral au très beau fixe. Croyez-moi, je ne suis pas venu comme ça. J’avais beaucoup d’appréhensions dès que j’ai pris la rue Michelet. Maintenant, je me dis que je n’ai pas écris le scénario pour personne. Il y’a déjà un long métrage au propre, et d’autres textes encore. Plus que jamais, le dossier est ouvert, et la production continue… Il me reste à finir mes deux semaines de tournage, et quatre autres de montage pour la comédie musicale que je tourne, et je me mettrai alors pleinement à ces nouveaux projets. »
Une dernière comédie avant de se consacrer à la télé berbère
Dans sa comédie, Hilmi remet sur écran l’éternel conflit entre l’homme, et la femme. L’un se plaint de l’autre… à longueur de journées. Mais la morale de l’histoire c’est que personne ne peut, en fait, s’en passer de l’autre. Sinon il n’y aurait déjà pas eu cette relève… Hilmi dit qu’il a tenté d’aller un peu au fond des choses dans cette histoire pour mettre en exergue le machisme du sujet masculin, une habitude néfaste héritée des aïeux. « Il faut que les mentalités changent, même si cela demandera du temps pour que les générations qui viennent changent de coopération entre elles. Mais dans l’histoire j’ai surtout ressorti que c’est la femme qui fait du mal… à la femme plutôt que l’homme. » Hilmi sait se qu’il avance. Certes c’est confus, et il en a conscience. Il s’explique : « La modernité je ne suis pas contre. Je suis pour mais souvent elle va au-delà de certaines limites. Prenez un jeune couple moderne. La femme peut avoir une copine célibataire toute jeune, plus fraîche, mignonne, elle l’invite chez elle. Forcément, elle fait la connaissance du mari. Dans la modernité, elle pourra même lui demander un jour : Chéri tu veux bien raccompagner mon amie. Il va pas dire non, c’est sûr. Une fois, deux fois, un autre jour il la croise tout seul dehors, et puis…Salam Alikoum ! A votre avis la faute est à qui ? Il y’a d’autres exemples. Prenez encore l’exemple des jeunes mariées répudiées par leurs belles-mères. C’est toujours la femme qui fait du mal à la femme. Mais que ce soit la première épouse qui se verra abandonnée pour sa copine, ou la deuxième qui divorcera par la faute de sa belle mère, elles se plaindront toutes de leurs époux, c’est-à-dire de l’homme. Mais bon sang, on aime les femmes, et on ne peut pas vivre sans! En plus dans la comédie (le film) tout est fait dans, et avec l’humour. » Hilmi ne veut surtout pas être mal compris en parlant de modernité. Il se donne alors du temps, et de la voix pour mieux s’expliquer. D’abord, par faire la part des choses entre le cinéma, et la vie de tous les jours.
«La modernité, oui ! Ce n’est pas la tenue qui pose problème, mais le comportement»
Son commentaire sur les nouvelles tenues vestimentaires » made in là-bas » notamment les collections d’été en vogue chez les filles ? » Attention, ce n’est pas ça que je blâme. Au contraire, ça fait plaisir de voir les gens à la page. Moi lorsque je parle de la modernité, je ne vise pas la tenue. Mais et après je suis heureux de voir de jolies jeunes filles en tenues modernes, je suis encore plus heureux lorsque je vois certaines vieilles dames suivre avec de très belles robes. C’est normal, il faut aller de l’avant. La tenue ne pose pas problème mais c’est les comportements qu’il faut condamner ou apprécier. Je n’aime pas trop lorsque c’est exagéré avec ces pantalons moulés. On dit que l’homme est chien, et la femme est sobre mais ne provoque pas le chien pour venir t’emmerder. Et puis une femme qui n’est pas complexée, elle doit être fière de sa beauté. Elle sait qu’elle est belle, et elle n’a pas besoin de l’artificiel pour plaire. Celle qui exagère, c’est qu’elle doute de sa beauté qu’elle tente de se montrer par autres choses… » Mohamed Hilmi lui n’a aucun complexe à dire ce qu’il pense comme ça vient. Ca sort de sa bouche comme de celle d’un innocent enfant. Un vrai régal. Avec l’image, les tiques, les gestes, les coups de tête, le sourire, et le rire qu’il vous provoque, c’est du pur bonheur. Du début jusqu’à la fin de la rencontre. « J’ai toujours été comme ça. A la télé ou à la radio, dans le temps, et maintenant, je suis toujours moi. » Hilmi est aujourd’hui père de six enfants : trois garçons, Madjid, Hocine, Samir et trois filles, Malika, Naima, et Amira. « J’ai aussi des petits-enfants, je suis grand-père, et je vis toujours à Alger. Je voyage certes mais je n’ai jamais quitté mon pays, et je ne le ferai jamais. Si je ne l’ai pas fait dans les moments pénibles, et difficiles, ce n’est pas maintenant que je vais le faire quand-même. Et pourtant on me l’avait proposé dans le temps. J’ai beaucoup de liens avec les organismes français, et il me suffisait d’une petite lettre pour avoir la nationalité française. Quand bien même la proposition me viendrait en haut lieu, pour moi, ça sera toujours une fin de non recevoir. J’ai été Français, et j’ai fait la révolution pour retrouver ma nationalité, et pourquoi maintenant je reprendrai l’autre ? Ceci dit comme je l’ai dit dans une conférence de presse au Havre, je suis de culture arabo–berbère, je suis amazigh, et j’en suis fièr. La culture arabe, je ne la rejette pas mais nos origines berbères sont ancrées en nous. Tarek Beni Ziad, quand il a conquis l’Espagne, il parlait à ses soldats en Tamazight, sous l’emblème de l’Islam. Aussi comme a dit mon ami Mouloud Mammeri, je suis dans la langue française comme un poisson dans l’eau, et j’apprécie énormément la culture française, la vraie, celle de Molière, Balzac mais ne me demandez pas plus… «
D.C.