Lorsque le crétinisme agrandit ce qui n'a pas de bornes

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On serait tenté de plaindre le rédacteur du « scoop » que le journal arabophone Echourouk a arboré hier, sur sa Une, pour s’attaquer au monument de la kabylité Lounis Aït Menguellet. À plaindre, parce qu’il ignore totalement la personne dont il traite. Dût-il parler et comprendre le kabyle, il demeure un analphabète invétéré face au personnage et à l’œuvre d’Aït Menguellet, véritable conscience kabyle de la fin du 20e siècle et de ce début du 21e siècle. Oui, en tentant de traîner notre poète dans la fange, en l’anathématisant, pour s’être solidarisé avec les victimes du journal Charlie-Hebdo, tout en se réclamant de tous ceux qui ont été assassinés ici, en Algérie (Djaout, Moukbel, Alloula, Hasni), l’auteur de la triste diatribe ignore la dimension d’Aït Menguellet. Lounis a brocardé et caricaturé bien avant ce déluge médiatique fait autour de quelques dessins, la vie, les dérives idéologiques, l’arbitraire, les fanatismes, les tenants du pouvoir, les journalistes (« même les journaux se mettent à dire la vérité », chante-t-il), les Torquemada de tous bords, les bigots et tous ceux qui tiennent aux pures formes et aux rites, au détriment des actes et des convictions :

« -Nous interrogeons l’artiste sur sa religion,

Pour que nous le suivions et adoptions sa foi;

Nous voulons savoir quel est le prophète

Au nom de qui il fait ses prières

Au moment où nous attendions sa réponse,

Il détourna son visage pour rire ».

C’est que pour le poète, « sa mère est la Terre entière; ses hommes sont ses frères », disait Lounis dans le même poème. Toutes les réponses aux hypocrites « attendrissements » de l’auteur de l’article se trouvent dans les strophes du poète. Ce dernier n’a même pas besoin de « mise au point » ou d’ « éclaircissements » qui le « réhabiliteraient » aux yeux de notre journaleux. Ce dernier, pour donner l’impression de constituer une force, se réfère, comme c’est la mode aujourd’hui, à d’hypothétiques commentaires de facebookeurs, afin de faire valoir son jdanovisme d’un nouveau genre. Et si tous ces boucans suscités autour des réflexions et attitudes de Kamal Daoud, de Nordine Boukrouh, des artistes qui se sont élevés contre le meurtre et le terrorisme ne seraient qu’un écran de fumée qui tente vainement de cacher les limites objectives auxquelles sont parvenus les extrémismes de tous bords et l’ankylose idéologique ? Immanquablement, et pour paraphraser Baudelaire, la bêtise, comme l’opium, agrandit ce qui n’a pas de bornes. En appelant au boycott des œuvres et des galas d’Aït Menguellet, l’auteur sait-il de quoi il parle ? Ceux qui n’ont pas accédé à la pensée de notre poète, et ils sont à plaindre, n’auront tiré aucune conséquence du stupide appel. Tandis que :

« Même si des gens te raillent,

Tu en es bien au-dessus.

Même si on te couvre de médisances,

Même si des paroles malencontreuses te sont adressées,

Ceux qui t’admirent

Et ceux qui te comprennent,

D’eux tu es issu ;

Nul n’osera t’offenser « .

Amar Naït Messaoud

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