La vie de Zohra Lacal a été si triste qu’elle ressemble beaucoup plus à une légende. Cette légende veut qu’elle soit née au Viêtnam en 1963 d’un père algérien et d’une mère vietnamienne. Son père était dans l’armée française. Arrivé à Hanoï, la capitale du Viêtnam, il a déserté pour rejoindre les Viet-Ming, aux côtés desquels il a combattu les Français. Il a rencontré sa mère à la libération. Un des frères de celle-ci est tombé au combat, il était sous les ordres de son père. A l’indépendance de l’Algérie, sa famille rentre au pays et se retrouve dans un état de dénuement total. Son père se donne la mort en février 1967. “J’ai vu mourir mon père, brûlé vif devant mes yeux”, témoigne-t-elle. La mère doit alors se battre pour élever et nourrir ses cinq enfants en bas âge et, de surcroît, à cette époque, il était mal vu en Algérie qu’une femme travaille. “On s’en est sorti un peu grâce à la mendicité et on a connu la prison à cause de ça, le temps pour ma mère de trouver des jobs”, affirme-t-elle. A cela s’ajoute le problème de communication, vu que la famille ne parle pas les langues du pays. A l’école, la petite Zohra découvre le dessin qui la fascine pour tout le restant de ses jours. La famille Lacal quitte le pays pour s’installer en France en 1972. A l’école toujours et surtout lors des visites scolaires, le goût de la môme pour la peinture s’aiguise et devient une vocation. Ensuite vient la magie de la littérature qu’elle découvre notamment à travers ses lectures de Dostoïevski. Elle s’inscrit au cours de dessin et rencontre son maître Ximen Armas. Cette peintre chilienne deviendra sa plus grande référence. S’ensuivent alors les nombreux voyages qu’elle effectue à travers le monde (Italie, Hongrie, Russie, Suisse, Iran, Thaïlande…) et qui lui permettent de se forger et de découvrir d’autres dimensions de l’art et enchaîne les succès. Petit à petit, Zohra vole de ses propres ailes et donne à ses œuvres une touche originale. Pour cause, même aux yeux du profane de la peinture, il suffit d’avoir l’occasion de regarder quelques-unes de ses toiles pour reconnaître toutes les autres œuvres signées par elle. L’artiste peint les scènes de la vie de tous les jours, souvent considérées par le commun des mortels comme banales et ne méritant nulle attention particulière. Dès que l’on pose alors un regard sur ses toiles, on découvre, tout compte fait, que ces scènes “banales” sont belles à contempler. Et on a tout de suite l’impression de découvrir ce qui est en nous, enfoui quelque part dans notre inconscient et dont on a pas pu apprécier la beauté. Zohra est de ces artistes qui ont compris qu’on n’a nul besoin de travestir la vie pour la rendre belle dans la mesure où elle l’est par essence. Bien que, comme nous l’avons vu plus haut, la vie de Zohra Lacal soit un interminable parcours de combattant, parsemée d’événements tragiques (le tout dernier est le décès de sa mère adoptive le jour-même de la fête de Noël 2005, c’est elle qui a écrit le texte qui a été lu durant la messe funéraire). Zohra n’est pas du genre à cultiver le désespoir et à jouer les Cassandre. Loin s’en faut. “C’est vrai, il y a de la souffrance en moi. Comment oublier un tel passé ? Malgré tout, j’ai réussi à canaliser ma névrose, la sérénité me gagne chaque jour même si des goûts amers restent en fond de décor”, avoue-t-elle.En 1990, Zohra retourne en Algérie où elle séjourne pendant quelques temps, pour se ressourcer, ce qui la conforte dans son intérêt pour la nature humaine et les scènes de la vie quotidienne. En 2001, elle séjourne au Maroc où elle prépare et réalise son exposition de peinture inspirée de ce pays voisin.Enfin, Zohra Lacal demeure la grande inconnue de son propre pays, l’Algérie, ce pays qu’elle rêve toujours de revisiter.
Karim Kherbouche
