Par S. Ait Hamouda
Incontestablement la grève des 8 jours a contribué à l’internationalisation de la cause algérienne. En plein dans le tumulte de la bataille d’Alger que fut initiée ce débrayage total de tous les Algériens là où ils se trouvaient pour attirer l’opinion internationale et surtout l’ONU sur la situation de guerre sans merci menée au peuple algérien par la colonialisme français. « Le mouvement, comme le soulignera M. Mustapha Bitam directeur du Musée d’El Moudjahid au forum du journal du même nom, a contribué à l’internationalisation de la cause algérienne, et a fait entendre la voix de l’Algérie combattante dans les forums internationaux, notamment à l’ONU ». En effet, cette grève initiée par le CEE sur proposition de Abane Ramdane, avait coïncidé avec l’ouverture de la session de l’ONU prévue pour le 28 janvier 1957, ce qui a favorisé la promotion de la cause nationale au niveau international. Après le déclenchement du 1er novembre et le découpage de l’Algérie en zones, Alger dépendait de la zone 4 (centre) dirigée par Bitat. En janvier 1955, Abane libéré de prison, rejoint le FLN et fut nommé comme adjoint de Bitat à Alger. Ce dernier est arrêté en mars 1955 et c’est Abane qui va jouer un rôle primordial pour unifier le mouvement de libération. En 1956, il fallait faire un 1er bilan de l’action armée et grâce aux contacts de Abane avec les responsables des zones, un congrès national a pu être tenu le 20 Août 1956 (congrès de la Soummam). A signaler la participation de toutes les zones de combat, sauf la zone 1 (Aurès) dont le responsable, Ben Boulaid, était tombé au champ d’honneur (mars 1956). Parmi les décisions du congrès il y eut la création du CNRA ( Conseil National de la Révolution Algérienne) et du CCE ( Comité de Coordination et d’Exécution) qui fut chargé de diriger la Révolution à partir d’Alger devenue ZAA ( Zone Autonome d’Alger). L’objectif du CCE était de créer un évènement important dans la capitale qui mobiliserait tout le peuple derrière le FLN. D’autre part, l’objectif était d’internationaliser le problème algérien, en vue de la session de l’ONU prévue le 6 Décembre 1956 puis reportée au 20 décembre pour être fixée finalement au 28 janvier 1957. Après débats, le CCE décide : (en novembre 1956) d’une grève de 8 jours. Le gouvernement français étant informé décide, le 7 janvier 1957, de confier le « maintien de l’ordre » à Alger à la 10e D.P (Division de Parachutistes) du général Massu. La grève décidée par le C.C.E et suivie en majorité par le peuple dans toute l’Algérie et même en France par les émigrés, devait démontrer la représentativité du FLN, et qu’il y avait bien une guerre de libération en Algérie. Pour le gouvernement français, il fallait briser la grève par tous les moyens. Transport de force des travailleurs algériens sur les chantiers, au port et les régies de transport. Ouverture des magasins par la force et pillage des marchandises. Barrages et contrôles des voies d’accès d’Alger. Arrestations massives, tortures généralisées et assignations à résidence. Parmi les retombées négatives de cette grève, nous pouvons déplorer la destruction totale de l’organisation FLN d’Alger soit par les arrestations, les disparitions, les déportations, soit par les départs au maquis des militants recherchés vers les maquis des wilayas 3 et 4. Toutefois, il n’en demeure pas moins que ce mouvement a démontré la représentativité du FLN, le triomphe de l’idée d’Indépendance et le basculement de l’émigration en France dans le camp FLN. Sur le plan diplomatique, le succès du FLN a été retentissant, car après discussion, l’ONU décide le 15 Février 1957 d’une résolution de compromis votée à l’unanimité (sauf la France) pour une solution pacifique, démocratique et juste conformément à la charte de l’ONU.
Le premier jour de grève à la Casbah
Malgré la présence oppressante des parachutistes, le 28 janvier, jour de grève générale, la Casbah et les quartiers populaires restèrent déserts. Alger suivait les ordres du FLN. Chaque famille avait fait des provisions. Ben M’Hidi et le C.C.E. avaient publié plusieurs tracts annonçant l’épreuve de force : Les P.C. des régiments paras, l’état-major avaient eu ces tracts. Ils connaissaient les mots d’ordre que le FLN avait fait circuler : durant les journées de grève, il ne faut pas circuler dans la ville européenne. Ne pas sortir de la Casbah. Tout en recommandant d’éviter tous les rassemblements en des lieux clos, ce qui pourrait faciliter des rafles éventuelles. Aussi, il est demandé aux Algérois de se solidariser avec les pauvres, les mendiants, les frères sans logis en les hébergeant et de faire des provisions de vivres et d’eau pour huit jours. A 7 heures du matin, des dizaines de milliers d’hommes participent à l’opération antigrève. C’est dans la Casbah qu’elle est le plus spectaculaire. Un seul but : faire sortir les musulmans, faire ouvrir les boutiques. Par la force. Maison par maison, les portes sont enfoncées. Les appartements visités. Les paras, mitraillette en main, sortent systématiquement les hommes valides. Les intérieurs des plus réticents sont saccagés. La Casbah tout à l’heure déserte est maintenant parcourue par de longues files d’hommes abattus. Les officiers de l’action psychologique trient les hommes. Ils attribuent à ceux dont l’aspect indique un niveau social assez élevé les plus basses besognes. On voit des instituteurs, des directeurs d’école, des intellectuels ramasser à mains nues les ordures de la ville. Rue Randon, l’artère la plus large de la basse Casbah, les files de camions attendent près des portes de sortie. Les hommes sont poussés sans ménagement. Et par vague, on les chasse hors de la Casbah après avoir vérifié les identités. Ceux qui protestent sont embarqués dans les camions jaune sable. Direction les P.C., les unités ou camps « d’hébergement » pour interrogatoire. Personne ne pensait que la Casbah, maquis impénétrable, pût être en quelques minutes investie par tant d’hommes aussi décidés. Un rien suffit pour être embarqué vers l’interrogatoire. Un mouvement d’impatience. Un je ne sais quoi de fier dans la démarche, un éclair de révolte. Ceux qui trient, qui sélectionnent ont tous fait l’Indochine, ont presque tous subi les camps viets experts en sélection. La guerre psychologique est dans ce cas précis la plus rentable. Détruire jusqu’à l’idée même de la révolte. Ni Massu, ni ses paras n’arriveront à mater la révolution malgré les tortures, les exactions les plus intolérables, les exécutions sommaires. Cette grève éminemment politique fera abdiquer le colonialisme français qui fini par reconnaître le droit des Algériens à l’autodétermination quatre années plus tard.
S.A.H