De S. Ait Hamouda
Diderot, l’auteur d’un traité du beau, dit de ce précurseur du 4e art : « Je compare Térence à quelques-unes de ces précieuses statues qui nous restent des Grecs, une Vénus de Médicis, un Antinoüs. Elles ont peu de passion, peu de caractère, presque point de mouvement ; mais on y remarque tant de pureté tant d’élégance et de vérité qu’on n’est jamais las de les considérer ». Il a produit entre autres : L’Andrienne, imitée de Ménandre. L’Andrienne (du grec Andría signifiant « La jeune fille d’Andros ») est représentée en -166. Elle met en scène l’histoire d’un citoyen d’Athènes, Pamphile, qui a violé Glycère, une jeune fille originaire de l’ile d’Andros. Elle est tombée enceinte, mais Pamphile lui donne sa parole qu’elle sera son épouse. Il se garde bien d’en informer son vieux père Simon qui avait projeté de lui donner en mariage une autre femme, Philomène, la fille de son ami Chrémès. En apprenant ce qui se trame, Simon hâte le mariage de Pamphile et Glycère, pour voir l’attitude de son fils. L’esclave de Simon, Dave, lui a assuré qu’il ne s’agit que d’un stratagème, même si Simon envisage sérieusement le mariage. Chrémès apprend que la jeune fille Glycère est enceinte. On finit bientôt par apprendre que Glycère est la seconde fille de Chrémès, du vrai nom de Pasibula, élevée en bas âge par un tuteur. Philomène peut donc s’unir à Charinus, l’homme qu’elle aime, le meilleur ami de Pamphile, et Glycère peut épouser Pamphile. Imitée de Ménandre, L’Eunuque (du grec ancien Eunoûkhos signifiant « Le Gardien de harem ») est représentée en -166. Elle met en scène un jeune homme, Phédria, amoureux de la courtisane Thaïs. Thrason, un soldat fanfaron, accompagné par son parasite et flatteur Gnathon, aime également la courtisane Thaïs. Phédria, pour preuve de son amour, achète alors à Thaïs, à grand prix, un eunuque vieux et laid et une jeune éthiopienne. Thrason, lui aussi pour preuve de son amour, offre à Thaïs une jeune esclave de 16 ans, qui n’est d’ailleurs jamais nommée dans la pièce autrement que par le mot latin de « virgo ». Cette jeune fille a été élevée avec Thaïs puis a été vendue comme esclave à la mort de la mère de Thaïs. Seulement, Thrason réclame toutes les attentions de Thaïs si celle-ci veut recevoir la jeune fille en cadeau ; elle va donc éloigner Phaedria pendant quelques jours. Chéréa, le frère de Phédria, aperçoit dans la rue la jeune fille et s’en éprend aussitôt. Parménon, esclave de Phédria et de Chéréa, déguise Chéréa en eunuque et l’offre en lieu et place de l’eunuque rabougri acheté par Phédria. Chargé par Thaïs de garder la « virgo », le faux eunuque la viole pendant son sommeil. Le cas de Chéréa est grave, car la « virgo » est en fait de condition libre. Thaïs vient en effet de retrouver le frère de cette dernière, Chrémès, et espère s’en faire un ami en la lui rendant et ainsi obtenir sa protection. À la fin de la pièce, Chéréa épouse la « virgo » pour rétablir la situation de la femme libre violée ; Phédria obtient de pouvoir fréquenter Thaïs autant qu’il le veut ; les jeunes gens et la courtisane s’entendent avec Gnathon pour tromper Thrason et vivre à ses crochets. Le père des deux jeunes gens va prendre également Thaïs sous sa protection ; elle n’aura donc plus besoin du soldat Thrason. Térence s’inspire ici de deux pièces de Ménandre : non seulement la pièce correspondante, L’Eunuque, mais aussi Le Flatteur, à laquelle il emprunte les deux personnages de Thrason et de Gnathon. L’Eunuque est l’une des pièces de Térence qui remporte le plus de succès auprès du public. D’ailleurs Jean de La Fontaine adorait cette pièce, qu’il adapta en 1655. Térence a composé six pièces, que nous possédons toutes. Il a considérablement fait évoluer la comédie latine : il incarne la génération influencée par l’hellénisme. César le surnomme le « demi-Ménandre » du fait que ses pièces sont inspirées de Ménandre d’autant plus qu’il a évolué dans le fameux cercle des Scipions, qui a acclimaté le goût grec à Rome. Térence écrit essentiellement pour un public de lettrés, comme le montrent ses prologues et les titres grecs de ses pièces. Les principales caractéristiques de ses pièces : Il réduit la place des parties chantées. Là où Plante choisit les pièces grecques les plus dynamiques et mouvementées en grossissant contrastes et traits comiques pour provoquer un rire franc, Térence, lui, va dans le sens de l’adoucissement de la verve comique et de la caricature en cherchant plutôt à faire sourire. Sa force comique (vis comica) est nettement moindre. Ses comédies sont plus sentimentales, elles reposent surtout sur un comique de caractère. Sa psychologie est plus approfondie, plus nuancée, parfois un peu mièvre. Il n’est pas rare de voir de la tendresse pour ou chez une courtisane. Son théâtre est soucieux de réflexion philosophique et morale : le thème de l’éducation, par exemple, y est omniprésent. Le style est plus uni, plus impersonnel : sa langue est celle de la conversation des « honnêtes gens », très pure, faite de quelques formules brillantes, mais il y a surtout de longues répliques, des monologues et assez peu d’échanges vifs. Son intrigue-type permet de suivre en parallèle les amours de deux jeunes gens dont l’un aime une jeune fille pauvre qui se révèle finalement être la sœur (perdue ou disparue) de l’autre. Un parasite ou un esclave aide à obtenir le consentement du père. Les personnages sont, comme toujours dans la comédie romaine, des archétypes : parasite, esclave rusé père hostile et coriace. Outre le souci, dans ce cas de figure, en évoquant Térence est de présenter, peu ou prou, le théâtre de la rive sud de la méditerranée et son évolution dramaturgique dans le temps. Térence est réduit en esclavage alors qu’il est encore enfant. Aussi, son surnom d’Afer était-il celui qu’on donnait aux Africains. Il est ensuite vendu — ou donné — au sénateur romain Terentius. Grâce à son talent, à sa beauté et à sa flûte, qui impressionnent fortement son maître, il reçoit une éducation d’homme libre et est rapidement affranchi. Il fréquente dès lors la haute société et, pour les cercles érudits, écrit des comédies.
Dramaturgies autochtones, la guerre des écoles
Ce vécu nous rappelle, toute proportion gardée, ceux des Rachid Ksentini, Hadj Omar, Kateb Yacine et tant d’autres qui ont nourri le théâtre alors que le théâtre les a peu nourri. Quant à l’art dramatique algérien contemporain, il a vécu autant d’épisodes heureux que malheureux et connu des périodes de médiocrité ainsi que des œuvres de haute facture. Il a connu des dates où il s’est imposé comme un art majeur, celles de Mustapha Kateb, Mahiedine Bachtarzi, Abdelkader Alloula, Azedine Medjoubi, Malek Bouguemouh, Kateb Yacine, Hadj Omar, Allel El Mouhib et celles où il a sombré sans bien sur se noyer. Le théâtre d’expression amazighe n’a pas enregistré un meilleur destin. Certes avec Mouhya, Fellag, il a eu un public enthousiaste et militant qu’il n’a pas su former aux règles esthétiques et techniques de cet art exigeant entre tous. Brecht, Stanislavski, piskator l’ont un peu irrigué sur les plans de l’approche dramatique propre aux uns et aux autres. D’où les défaillances que l’on constate aujourd’hui dans les mises en scène ou les montages de ces pièces. Parce que le théâtre c’est la mise en scène et rien d’autre. Un théâtre pour être ce qu’il prétend être ne peut exister sans ce que les anciens avaient voulu qu’il soit, toutes époques confondues depuis l’antiquité. Il est évident que le théâtre voulu par Alloula, Ould Abderahmane Kaki, et Kateb Yacine s’est voulu populaire de prime abord. Et, c’est sur ces fondements qu’il faudra creuser sans trop chercher ailleurs ce que l’on a chez nous à moins de vouloir l’ersatz plutôt que l’authentique.
S.A.H

