«Azul Mass Mammeri !»

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Rama est rentré chez lui. Dezdeg, Sadiya et Kaci l’Angoisse ont convenu de ne parler à personne de tamacint n zman. Leur premier inig dans le temps est prévu pour ce soir, minuit. À l’heure convenue, ils se retrouvent à baggu, l’oliveraie de Dezdeg. Kaci l’Angoisse est aux commandes de la machine. Planté devant un clavier, il tape : Alger – Fac centrale –  20 avril 1970 – 11h 45mn.  « N’oubliez pas : nous pouvons voir tout le monde et parler à tout le monde, mais personne ne pourra nous voir », rappelle le commandant de bord.

Dix minutes après, les trois délégués d’At Rgad se retrouvent dans la cour de la fac centrale.

– Ya ddin uqabac ! pas un qamis, pas un hidjab !, s’exclame le vieux Dezdeg

– L’Iran est encore entre les mains du Shah. Le Qatar est au stade pastoral. « Mazal ulac lhemdu, ulac dollar » !, explique Kaci.

-Ahaw ! ne traînons pas, il est presque midi, on risque de le rater, les interrompt Sadiya n l’Euro.

Deux petites minutes après, ils sont à l’intérieur d’un amphi. Ils cherchent des yeux une personne parmi une grappe d’étudiants entourant un bureau.

– Le voilà !, montre du doigt Dezdeg

-Oui, c’est lui ! confirme Kaci, tout ému Oui, c’était bien lui. Il était entouré de quelques étudiants. Parmi ces derniers, Kaci reconnaît trois hommes, encore jeunots, qui feront l’actualité politique des At Rgad, années 2000. Les étudiants sortent de l’amphi. Leur professeur range des documents dans sa serviette, en fredonnant un acewwiq.

« Azul Mass Mammeri ! », le salue Dezdeg. Mammeri lève la tête, ne voit personne. Il sourit, se disant que l’un des personnages de son roman en chantier lui joue des tours.

« Azul Mass Mammeri ! », revient à la charge Kaci l’Angoisse.

-Qui êtes-vous ? Où êtes-vous ? d’où connaissez-vous Azul

-Vous ne pouvez pas nous voir Mass. Nous venons de 2015, de At Rgad. Le « Azul » c’est vous qui nous l’aviez appris, répond Kaci

Mammeri semblait perdu. Mais il joue le jeu :

-Et comment va At Rgad ? Tamazight ?

-At Rgad se cherche toujours. Mais, Tamazight est enseignée à l’école, à l’université. Elle a un haut commissariat, elle a une chaîne de TV, quelques pages dans deux journaux. Elle est devenue langue nationale et peut être langue officielle bientôt.

–  Mais c’est formidable !, estime Mammeri

– Non, ce n’est pas formidable mass Mammeri, intervient Dezdeg

– Mais pourquoi donc ?

Je ne saurais vous le dire. Je sais seulement que ça ne va pas. Et ça, tout le monde le sait. D’ailleurs c’est pour répondre à cette question que nous sommes venus vous voir

– Vous me dites que Tamazight est à l’école, que vous avez des chaînes de TV, des journaux, un haut commissariat, des pouvoirs dans le pouvoir… Je pense que le problème c’est vous les gens d’At Rgad.

T.O.A

[email protected]

 

P/S « Vous me faites le chantre de la culture berbère et c’est vrai. Cette culture est la mienne, elle est aussi la vôtre. Elle est une des composantes de la culture algérienne, elle contribue à l’enrichir, à la diversifier, et, à ce titre, je tiens (comme vous devriez le faire avec moi) non seulement à la maintenir, mais à la développer. »

Réponse de Mouloud Mammeri à l’article Les Donneurs de leçons, paru dans le quotidien officiel et qui circula en Algérie sous forme dactylographiée en avril 1980

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