L'école algérienne est-elle en train de faire un saut dans l'inconnu? Sans doute, le point d'impact du saut n'est pas si inconnu que cela.
La pente glissante vers plus de médiocrité de baisse de niveau et de formation de chômeurs en puissance, a été inaugurée depuis plus de deux décennies. Tous les signes actuels, qui coïncident, depuis sept mois, avec les grandes interrogations du pays quant à son devenir économique à la suite de la chute des prix du pétrole, alertent sur la ligne rouge atteinte par la dégradation de l’école algérienne. La grève des enseignants dure depuis trois semaines. Si la réunion de samedi prochain entre les syndicats des enseignants et Mme la ministre de l’Éducation échouait, ce serait la porte ouverte vers une quatrième semaine, peut-être même plus. Si les élèves et les parents d’élèves ont pris favorablement note des engagements de la nouvelle ministre pour la refondation de l’école, à travers la réforme des programmes, des méthodes de travail, de la pédagogie et des modes d’évaluation, principalement à l’examen du baccalauréat, l’atmosphère générale, telle qu’elle est perçue par les syndicats, baigne apparemment encore dans une espèce de « benbouzidisme », en référence aux longues années où l’ancien ministre Benbouzid avait entretenu un bras de fer stérile avec les syndicats. Un bras de fer qui avait occulté complètement l’intérêt des élèves, du niveau de l’enseignement et des résultats scolaires, au profit d’un corporatisme d’un mauvais aloi. Le schéma se reproduit, avec « copie conforme à l’original », dans un moment où la société commençait à espérer des changements sérieux dans le système éducatif national. Ce sont visiblement des horizons qui ne semblent pas intéresser outre mesure quelques boute-en-train de la militance syndicale. En ces journées de vacances forcées, plusieurs enseignants grévistes dans l’école publique activent néanmoins dans les écoles informelles (appartements, garages, bureaux,…) où l’on donne des cours dits de « soutien » contre un payement de 3 000 à 5 000 dinars par élève et par mois. Le qualificatif de « comportement cupide » donné par Mme Benghebrit à ce genre d’attitude est-il exagéré? Même si les parents d’élèves ont montré une certaine défaillance- car mal organisés et comptant trop sur la réaction de l’État-, il n’en demeure pas moins qu’ils désapprouvent complètement ces pratiques, sachant que ce sont eux qui payent les cours pour les enfants pour espérer les sauver d’une année blanche. Autrement dit, les syndicats ne peuvent espérer aucun soutien des parents d’élèves lorsque le bras de fer engagé avec l’administration ne prend aucun compte de l’avenir scolaire de leurs enfants. L’Algérie n’a que faire d’une arithmétique- qui fait la sèche comptabilité des enfants scolarisés, des bacheliers, du nombre d’étudiants, de l’ampleur des infrastructures éducatives-, qui se transforme en un écran de fumée escamotant l’essentiel, à savoir le niveau de formation et de qualification, ainsi que l’employabilité des détenteurs de diplômes universitaires ou de la formation professionnelle. Elle n’a que faire de ces décomptes d’autant plus que l’on sait l’impact, ou le défaut d’impact, de ces « performances » permises par la rente pétrolière, sur l’économie du pays et sur l’éducation qui forme à la citoyenneté. Chaque année, plus de 250 000 universitaires arrivent sur le marché de l’emploi, primo-demandeurs, s’ajoutant aux anciens chômeurs et aux employés pré-emploi. Si l’économie nationale n’arrive pas à absorber tout ce chômage, non seulement parce qu’il n’y a pas assez d’entreprises, donc d’offres d’emploi (ce qui est vrai, naturellement), mais aussi parce qu’un grand nombre de diplômés ne répondent pas aux offres existantes. Et cela pour deux raisons. Soit le profil universitaire recherché n’a pas été bien pris en charge par la formation universitaire, soit que le niveau de formation ne permet pas au diplômé de s’intégrer dans l’entreprise. Ce dernier phénomène est jusqu’ici occulté par les pouvoirs publics, les centres de recherches et même les médias. Il constitue une sorte de tabous dont ne sont « autorisés » à parler que les patrons, potentiels recruteurs. Le phénomène a bénéficié également d’un silence coupable de l’administration du fait que, pour les recrutements dans la fonction publique, il n’y a lieu que d’exhiber son diplôme, pour passer un pompeux concours sur titre. On ne fait jamais appel aux connaissances ou compétences des impétrants recrutés. Les recrutements dans la fonction publique commencent à montrer leurs limites. Le Premier ministre a même été amené à décider le gel, devenu par la suite un « report », des recrutements suite à la chute des cours du pétrole. Deux millions de fonctionnaires pour des prestations plus qu’aléatoires, les Algériens ont besoin d’un nouveau souffle. L’administration est appelée à se réformer en profondeur, y compris dans ses modes de recrutement. C’est la seule façon de pouvoir encadrer et accompagner les réformes économiques qui cherchent à identifier et mettre en œuvre des solutions alternatives à l’économie de rente. Mais, ces réformes ne peuvent se faire qu’avec des jeunes biens formés à l’école, à l’université et dans les centres de formation professionnelle. A-t-on le droit de compromettre l’avenir de millions d’élèves dans cette conjoncture, où tant de lourdes interrogations taraudent les franges de toute la société au nom d’une revendication salariale ou de statut ?
Amar Naït Messaoud
