L'école et la vie

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En pleine grève de l’école, pour la quatrième semaine, la ministre de l’Éducation nationale, Nouria Benghebrit, signe une convention avec la ministre de la Culture par laquelle les deux départements s’engagent à « promouvoir l’activité culturelle aux différents paliers de l’école algérienne ».  En ces moments d’extrême tension sur le front syndical et de désertion des établissements, il paraît quelque peu surréaliste de traiter d’un « luxe » aussi… légitime, tant l’extrême urgence est de sauver ce qui peut l’être de l’année scolaire 2014/2015 et de préparer, dans de bonnes conditions, les examens du BEM et du baccalauréat. En principe, sans le recours au seuil des cours, comme s’y est engagée la ministre à la rentrée de septembre. Néanmoins, cette option semble de plus en plus fragilisée par la poursuite de la grève. Quant aux activités culturelles et toutes les formes de passerelles qui puissent relier l’école à l’environnement social de l’élève, cela fait plus d’une dizaine d’années que l’on en parle sans que quelque chose de concret ait été constaté sur le terrain. Que l’on se souvienne- et notre journal a consacré de longues analyses à cette thématique depuis 2002- des propositions des anciens ministres de l’Éducation, Boubekeur Benbouzid et Abdellatif Baba Ahmed, relative à l’introduction de matières ou de chapitres d’éducation culturelle et civique, tels que les tremblements de terre (juste après le séisme de Boumerdès), les Droits de l’homme (cela remonte même très loin, du temps où Rezag Bara était ministre chargé de la protection des Droits de l’homme), le code de la route (en 2012) et d’autres propositions encore. La convention signée dimanche dernier se donne pour ambition  » la création d’un dynamisme culturel au sein de l’école algérienne », selon Mme la ministre de l’Éducation. « Avec un travail de collaboration avec le ministère de la Culture, nous allons trouver les mécanismes adéquats pour découvrir le don et l’instinct artistique chez nos enfants et, surtout, de le développer avec des encadreurs professionnels », explique-t-elle. Elle s’appuie sur la réaction, jugée positive, des élèves à la présentation du film Fadhma N’Soumer, réalisé par Belkacem Hadjadj. Cette réaction qui montre l’intérêt par rapport à l’histoire nationale invite à une réflexion plus profonde pour diversifier et multiplier ce genre d’initiatives. Les initiatives de ce genre sont plus que louables. Elles devraient même tenir d’une logique de complémentarité entre l’éducation et la culture, entre la formation diplômante ou qualifiante et la formation à la citoyenneté. Cependant, au regard de la place que tiennent certaines matières sensibles et obligatoires, enseignées pendant un demi-siècle, et des résultats scolaires obtenus par les élèves dans ces mêmes matières, il y a lieu de revoir le mode d’enseignement de fond en comble. Autrement dit, diffuser des films d’histoire et présenter des pièces de théâtre aux élèves des collèges ou de lycée est une bonne chose. Précéder de telles activités par un enseignement moderne, efficace et attirant de l’histoire, de la géographie et des langues, serait encore plus cohérent et conférerait plus de substance et d’aura aux activités complémentaires. En Algérie, l’enseignement de l’histoire et de la géographie est catastrophe au sein d’une école qui ne l’est pas moins. Le « parcoeurisme »- récitation des dates d’installation de royaumes sans limites précises, de rois ou d’émirs sans « personnalité », de dates de chute des empires,… – ne rime à rien en ce début du 19e siècle. Il en est presque de même pour la géographie où la récitation domine le cours. Aucune espèce de réflexion n’y est introduite. Et l’on s’étonne par la suite que, par exemple, les étudiants qui entrent en première année d’économie – gestion, de journalisme ou de sciences sociales ne sachent rien des mouvements de la société des échanges, de la production, de l’histoire des faits économiques et sociaux, de l’importance stratégiques des infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires du pays, de ce que signifie les concepts d’entreprise, de fonction publique ou de centre de recherche.

 

Dévalorisation des matières « citoyennes »

Les matières qui préparent à la citoyenneté et qui, par accumulation, sont à même d’initier une prise de conscience politique chez les lycéens, sont gravement dévalorisées. Le cas de la matière « philosophie » est encore plus dramatique. L’on se souvient de cette bachelière qui, il y a quelques années, avait obtenu la note de 3 sur 20 dans l’épreuve de philosophie au baccalauréat, et qui a fini par être orientée exactement vers la filière… philosophie! Ce n’est malheureusement pas une blague. Rien ne prépare les élèves de terminale au cours de philosophie. Tous les textes littéraires étudiés jusqu’en 2e année secondaire respirent l’archaïsme. L’on est resté figé dans la métrique et la rhétorique de la poésie arabe, sans aucune plongée dans la littérature moderne qui pose les grandes questions existentielles, les complexes enjeux de la mondialisation, le dialogue des civilisations,… etc. Ce qui se passe actuellement dans le monde et qui est répercuté par les moyens d’informations les plus diversifiés (nouveaux conflits dans le monde, la géostratégie régionale et mondiale, la crise des matières premières et de l’énergie, l’intégrisme et la place de la religion dans la société les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les biotechnologies,…), ne trouve aucun prolongement ou écho dans l’école algérienne. Entre les matières enseignées, il n’y presque aucune passerelle. Les sorties sur le terrain pour les cours de botanique ou de géologie n’existent plus. Avant d’aller demander la coopération des Japonais dans la pédagogie de l’enseignement des séismes-projet de Benbouzid au milieu des années 2000- il eût fallu revoir la copie des cours de sciences naturelles tels qu’ils sont dispensés aujourd’hui à « huis-clos ». Les élèves ne connaissent plus ce qu’est un herbier, ne savent plus décrire un paysage avec les mots censés être mis à leur disposition par le cours de géographie, ne savent pas distinguer les types de roches qu’ils reçoivent en cours. Parce qu’ils ne font pas de sorties, ils sont donc incapables de faire un compte-rendu de sortie. Le cours de langue se limite à des textes dépassés, qui n’ont aucune prise sur la réalité d’aujourd’hui. Même l’éducation civique subit le même sort, le « parcoeurisme ». On s’étonnera demain d’avoir des citoyens qui ne votent pas ou qui ne « savent » pas voter. Aucune sortie ne leurs est programmée vers les assemblées communales ou de wilaya, vers la brigade de gendarmerie ou la Protection civile, pour prendre connaissance de leur mode de fonctionnement et de l’intérêt de ces services pour la collectivité. Par-delà la convention entre les ministères de l’Éducation et de la Culture, il y a lieu d’engager une vaste réflexion sur la place de l’école dans notre pays, de façon à l’ouvrir sur la société et à mieux préparer le citoyen de demain à assumer ses responsabilités dans un monde de plus en plus complexe.

Amar Naït Messaoud

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