Les chaînons manquants

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Le Festival « Lire en fête », qui revient chaque année et qui tente de lier l’utile à l’agréable, en associant la lecture avec des activités ludiques à l’intention des enfants, est une occasion de revenir sur la pratique de la lecture dans notre pays, et particulièrement au sein de la frange juvénile fréquentant l’école primaire, le collège ou le lycée. 

Assurément, les temps où l’on contractait le Talon de fer de Jack London ou Germinal d’Émile Zola en quelques paragraphes est définitivement révolu. On ne sait plus comment faire revivre ces temps où les paysages kabyles de Feraoun, les images et l’âme de la montagne de Mammeri, la spiritualité de Khalil Gibran et le café populaire de Mahmoud Teymour côtoyaient Le Petit prince de Saint-Exupéry ou les poésies de Lamartine. C’était le collège et le lycée algériens jusqu’à la fin des années 1970. L’arabisation débilitante, l’anarchie pédagogique et les interminables essais dont l’école est devenue l’objet, comme un cobaye consentant, ont fini par avoir raison de…la raison, de la culture, de l’intelligence et de la compétence. L’accès aux moyens technologiques modernes, auxquels les enfants ne sont pas préparés, a achevé ce qui reste. Il n’y a qu’à faire une petite enquête sur l’utilisation de l’Internet. Hormis les aspects ludiques et de spectacles, qui ne sont pas naturellement à condamner ni à congédier, on peinera à trouver des jeunes versés dans des activités de lecture et de formation, et Dieu sait que le web constitue un monde infini en la matière. Incontestablement, la relation des jeunes avec le livre et la lecture est devenue plus un « spectacle » qu’un acte naturel inscrit dans l’ordre normal des choses, faisant partie de ce qu’on appelle la dépense culturelle. Encore que, pour une telle activité et avec les moyens d’aujourd’hui, le mot dépense doive être relativisé. Les pouvoirs publics ont consenti des efforts pour construire des bibliothèques un peu partout, y compris dans certaines communes enclavées, comme c’est le cas avec le programme des Hauts Plateaux. Les salons de livres se suivent et se ressemblent, y compris le Salon international d’Alger. Une fois dépassés le brouhaha de la foire et les mondanités qui les accompagnent, on retombe généralement dans la sécheresse culturelle. « Il y a des gens qui ont une bibliothèque comme les eunuques ont un harem », disait Victor Hugo. Autrement dit, les piles de livres ou les infrastructures (bibliothèques, médiathèques, librairies,…), risquent de n’être qu’une façade, un ersatz de structure culturelle dont le contenu n’est guère garanti. On lit une telle situation à travers l’ennui et la morosité qui gagent les jeunes Algériens, et on surprend malheureusement les élèves de nos écoles en flagrant délit d’absence de culture générale et d’imaginaire esthétique; ce qui constitue pour eux un lourd handicap non seulement pour accompagner et parfaire leur vie professionnelle, mais également pour leur épanouissement et leur formation aux valeurs de la citoyenneté. En matière de production, on ne peut pas nier que l’Algérie a fait un bond intéressant depuis l’ouverture sur l’économie de marché. Des dizaines de maisons d’édition ont vu le jour. Tamazight est intégrée dans le circuit de production, avec, bien entendu, des problèmes qui rendent l’accès de ces maison à certains auteurs difficile. Il est vrai que la lecture dédiée spécialement aux enfants souffre encore de certaines faiblesses. Les auteurs versés dans ce créneau ne sont pas très nombreux. Mais, il existe déjà un fonds documentaire algérien intéressant, avec les contes kabyles traduits par Taos Amrouche, les livres de contes de Rabah Belamri, Machaho de Mouloud Mammeri, etc. De même, des maisons d’édition, à l’image de Talanrikit, installée à Béjaïa, et de l’ENAG de Régahïa, sont en train de fournir des efforts méritoires pour rendre le patrimoine littéraire mondial à la portée des jeunes Algériens. Cependant, l’effort premier, fondamental, à la base de tout processus de promotion de la lecture doit indéniablement se faire à l’école. Les programmes, particulièrement ceux ayant une relation avec les langues, la civilisation et l’histoire, doivent être hissés au niveau des préoccupations des jeunes d’aujourd’hui. Le choix des textes à étudier est censé répondre au souci du bon goût, de la formation du sens esthétique, du développement de l’imagination et de la compréhension du monde moderne. Des passerelles fructueuses devraient se réaliser avec les autres matières (sciences biologiques, géologie, mathématiques, histoire, géographie,…). C’est là une manière de contribuer à la formation du citoyen de demain, conscient de ses droits et de ses devoirs; un homme équilibré vivant les manifestations du « village planétaire » d’aujourd’hui d’une façon harmonieuse, loin des déchirements culturels et des replis identitaires ravageurs. 

Amar Naït Messaoud

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