Pour un nouvel ordre citoyen

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Les statistiques de la population algérienne données, la semaine passée, par l’Office national des statistiques (ONS) ne manquent pas d’attirer l’attention sur des réalités démographiques et sociales qui ne sont pas toujours « visibles », surtout lorsqu’on les associe à d’autres paramètres, comme la répartition géographique de cette même population et les questions de l’aménagement du territoire, outre les questions liées à l’organisation générale de l’économie et de l’État. Il y a 35,5 millions d’Algériens. Dans huit mois, le seuil de 40 millions sera franchi. La population algérienne sera de 40,4 millions, selon l’ONS. En effet, il naît plus d’un million d’Algériens chaque année. Rien que pour l’année 2014, le bilan des naissances s’établit à 1 014 000. La frange des moins de 49 ans occupe plus de 83% du diagramme. Autrement dit, une population toujours jeune, malgré certaines « appréhensions » exprimées au milieu des années 2000 quant à un début de tendance au vieillissement. C’est que, entre-temps, la natalité a fait un grand bond en avant- soit un taux de fécondité de 3,03 enfants/femme en 2014-, accompagné d’une augmentation du taux de nuptialité (386 422 mariages célébrés en 2014), suivi, il est vrai, d’une tendance vers le relèvement des divorces (57 461 cas en 2013). Le relèvement du niveau de vie de plusieurs franges de la population algérienne a contribué à augmenter le nombre de mariages, même si la croissance de l’économie algérienne demeure plus que jamais fragile, car basée sur la rente des hydrocarbures qui commence à clignoter en couleur orange. Ce même niveau de vie a permis de réduire le nombre de morts à la naissance (néomortalité) et d’augmenter l’espérance de vie, laquelle se situe aujourd’hui à 77,2 ans (moyenne pour les deux sexes). Ces agrégats démographiques, en chiffres bruts, peuvent être une précieuse base de données pour les pouvoirs publics, les experts et les centres de recherche, pour concevoir des politiques publiques de santé d’éducation, de formation, d’activités culturelles, de sport,… etc. Cependant, ces mêmes données ne peuvent être utilement exploitées et rationnellement traitées que dans un cadre spatial qui reste à étudier et à mettre en valeur. Autrement dit, la connaissance exacte de la répartition géographique de la population algérienne est d’une importance primordiale. Qui dit répartition de la population, dit aussi gestion des ressources (foncières, biologiques, minérales, hydriques,…) et distribution des activités économiques. La question se pose d’elle-même lorsqu’on se rend compte de la concentration de la population et des activités économiques dans la partie septentrionale du pays, comprise entre les Hauts Plateaux et la côte méditerranéenne. Sur 1 200 km de côtes et sur une profondeur moyenne d’environ 80 km, l’Algérie du Nord se trouve surpeuplée, noyée dans les embouteillages, confrontée à la gestion de l’eau potable, à la politique de la ville et du cadre de vie, aux atteintes permanentes à l’environnement et à d’autres défis générés par un déséquilibre patent dans la politique de l’aménagement du territoire. Quel est grand le fossé entre les bonnes intentions portées par le Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT), finalisé et adopté depuis cinq ans, et les réalités de la gestion de l’espace algérien ! On estime, d’après des données qui restent à affiner, que 63% de la population vit sur une portion de terre qui représente 4% du territoire national. On est en droit de se poser la question sur les résultats des programmes de développement destinés aux régions des Hauts Plateaux et du Sud pendant toute la période allant de l’année 2000 à aujourd’hui ? Si des ouvrages et des infrastructures ont pu voir le jour dans certaines wilayas, à l’image du grand transfert d’eau d’In Salah à Tamanrasset sur 750 km, le reste des programmes n’est pas de visibilité qui puisse créer une attractivité particulière pour un rééquilibrage démographique, commercial et économique. Certains députés de l’APN se sont, vers la fin 2014, penchés sur la consistance et l’utilisation du Fonds du Sud afin d’en titrer des enseignements pour le nouveau plan quinquennal 2015-2019. Il en a résulté un terrible constat: seuls 20% de ce Fonds ont réellement été utilisés. Le reste de l’enveloppe financière peine à trouver son chemin dans les maquis de la bureaucratie et de la centralisation de la décision. Un symptôme qui en dit long sur l’organisation institutionnelle du pays, étouffée par l’hypercentralisation de l’État et de ses structures, d’une part, et sur les archaïsmes qui grèvent encore l’administration algérienne, malgré une façade de « modernité » faite de technologie numérique. À cela s’ajoutent naturellement les pratiques de corruption qui finissent par dissuader les volontés les plus farouches. 

 Vision étriquée et archaïque 

L’une des réponses apportées par les autorités politiques à l’excès de centralisation est ce projet d’une nouvelle division administrative de quelques régions du pays (le Sud et les Hauts Plateaux en priorité). Mais si la distance physique séparant une localité du chef-lieu de commune ou de wilaya peut être effectivement réduite, la distance « politique » – autrement dit, celle inhérente au processus de prise de décision et à la participation- ne saurait être atténuée ou neutralisée que par des réformes institutionnelles audacieuses. Le problème est ressenti un peu partout en Algérie. La Kabylie en donne sans doute l’exemple le plus prégnant et le plus éclatant, s’agissant de gérer des territoires de montagne à forte densité de population. Les spécificités géographiques, économiques, culturelles et sociologiques auraient pu trouver un meilleur canal de gestion- se basant sur la créativité de la jeunesse, l’initiative locale, des formes originales d’organisation, y compris, pourquoi pas, l’intégration des comités de villages comme nouvelles institutions- si une véritable décentralisation du pays était à l’œuvre, dépassant l’étape de ce qui peut être considérée aujourd’hui comme une simple déconcentration. Le blocage dont souffrent des dizaines de communes, en Kabylie et dans le reste de l’Algérie, est, pour sa grande partie, nourri par ce retard historique de hisser les institutions aux aspirations des populations. Visiblement, l’amendement des codes de la commune et de la wilaya en 2012, ne pouvait donner que ce qu’il a, à savoir un champ de manœuvre limité par la culture du centralisme et de l’hégémonie de l’administration dans la vie sociale. La gestion rationnelle des territoires et des ressources, ainsi que l’accès à la véritable citoyenneté passent imparablement par des choix éminemment politiques qui transcendent cette vision étriquée et archaïque de la société. 

         

Amar Naït Messaoud

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