La production littéraire et scientifique en tamazight en débat

Partager

Samedi dernier, le Café littéraire de Béjaia a invité Kamel Bouamara, enseignant à l’Université de Vgayeth, pour y donner une conférence sur «La production littéraire et scientifique en tamazight». Devant une salle à moitié vide, la conférence a quand même eu lieu. Le thème n’étant pas d’une actualité brûlante, le public n’a pas répondu en masse à l’invitation du Café Littéraire.

Pourtant, le thème est intéressant en lui-même, puisqu’il nous donne un panorama assez complet de la production littéraire et scientifique en tamazight, depuis ses débuts, c’est-à-dire, selon l’auteur de la conférence, «depuis le dix-huitième siècle. Ladite conférence a porté uniquement sur la production relative à la Kabylie, sachant qu’il existe de nombreuses autres publications en tamazight en dehors de la Kabylie, notamment dans les Aurès et au Maroc». 

Tamazight a ses propres règles. En adoptant les caractères latins, avec l’introduction de deux autres caractères grecs, elle a fait un choix qui s’est petit à petit imposé. «La production littéraire en tamazight n’a pas commencé avec l’arrivée de la colonisation française. Il y a eu quelques autres productions qui datent de bien avant 1830», a-t-il dit. Mais, se demande l’auteur : «Pourquoi n’y a-t-il pas eu de tentative de standardisation de la langue amazighe par les nombreux intellectuels arabophones de la région. Il y a eu de nombreuses zaouïas et écoles coraniques, et aucune n’a pensé à donner à tamazight une stature à même de reproduire la pensée et la culture locales. Beaucoup d’intellectuels kabyles ont émigré au pays du Cham, c’est-à-dire le Proche Orient actuel : Syrie, Liban, Palestine,….». Il existerait aujourd’hui encore, selon Kamel Bouamara, une communauté kabylophone dans ces pays. Plusieurs de ces kabyles du Cham ont demandé à rentrer chez eux en Algérie, amis les autorités algériennes ont refusé leur demande. Selon lui, les intellectuels kabyles arabophones n’ont rien fait pour développer la langue kabyle. 

Standardisation de la langue amazighe

Ce sont les Français, dit-il, qui auraient commencé à jeter les bases de la standardisation de la langue amazighe. Il y avait des militaires et des gens de l’administration qui s’en étaient occupés. «Nous travaillons cette langue pour connaître les populations colonisées de l’intérieur», auraient-ils affirmé. «Mieux les comprendre pour mieux les gérer», justifiaient-ils. Mais il n’y a pas eu qu’eux. Bien avant l’arrivée des colons, des intellectuels français et allemands se sont intéressés à cette langue. 

Premières productions

Dès  1790, rappelle l’auteur, «Venture de Paradis, orientaliste, spécialiste des langues méditerranéennes, a découvert l’existence de la langue berbère. Il a ainsi rencontré des berbères Chleuhs en France, puis est venu en Algérie où il a rencontré des Kabyles. Il a donc rédigé un dictionnaire de la langue berbère. Mais celui-ci n’a vu le jour qu’en 1844». De même, poursuit-il, un enseignant d’arabe dans un lycée d’Oran, Auguste Moliéra, a rencontré des Kabyles et fut impressionné par leur culture. Il rédigea et publia des contes kabyles entre 1893 et 1896. D’un autre côté un africaniste allemand, opposé au principe de la colonisation tant française qu’anglaise, a réuni, en 1913 en trois volumes, cent cinquante contes kabyles en allemand. Mais ce n’est qu’en 1982 qu’ils ont été traduits en français. «Il faut aussi signaler l’apport indéniable des pères blancs à la littérature kabyle et chaouie», a-t-il détaillé. Ainsi, d’après toujours Bouamara, «le Père Jean-Marie Dalais a créé une revue en kabyle dès 1947. Elle fut interdite par l’Algérie en 1978. La revue ‘’Fichiers et Documentation Berbères‘’ réunissait des textes en kabyles avec des traductions en français». Il ajoute : «Signalons aussi la création d’une chaire de berbère à l’Université d’Alger en 1980. Elle a donné ses premiers enseignants de Tamazight à l’instar de Boulifa et d’autres. A la fin des années soixante, il eut la création de l’Académie Berbère. Cela s’est fait dans la maison de Taos Amrouche. Plusieurs intellectuels en faisaient partie. Puis il y a eu la malheureuse expérience de l’OFB, l’Organisation des Forces Berbères, qui avait commencé à publier des journaux, avant de tomber dans la tentation de la violence avec la tragique histoire de la Bombe d’El Moudjahid. Il ne faudrait pas oublier non plus le groupe d’étudiants de Ben Aknoun qui avait, entre autres, traduit en kabyle les pièces de théâtre de Kateb Yacine. Enfin, il y a eu le groupe d’études de Paris-Vincennes, où un groupe d’étudiants kabyles se sont organisés pour donner des cours de tamazight et publié un bulletin d’études berbères». 

Personnalités célèbres

D’autres personnalités se sont distinguées par leurs productions relatives aux berbères. Le conférencier cite à titre illustratif le cas de Mouloud Mammeri qui publia en 1989 les Issefra de Si Mohand Ou Mhand. « Il a été l’écrivain le plus prolifique et le plus connu. Ses livres avaient été publiés chez François Maspéro qui est décédé ces derniers jours. C’est la publication de ses «Poèmes Kabyles Anciens » qui ont été à l’origine des événements d’Avril quatre-vingts. Il faudrait aussi signaler les œuvres de Mouloud Feraoun en 1960, de Jean Amrouche en 1939, de Taos Amrouche, etc.», a-t-il expliqué

Après l’Indépendance

Le seul livre postindépendance en kabyle, selon lui,  fut publié en 1963. « Depuis, il y a eu un black-out total sur la production littéraire en tamazight en Algérie, jusqu’aux événements d’Octobre 88. Les livres de Rachid Alliche, de Said Saadi et d’autres n’ont pu être publiés qu’en France. Mais après octobre 88, il y a eu une prolifération de publications en Tamazight. Le HCA, le Haut Commissariat à l’Amazighité a contribué à la publication de plus d’une centaine d’auteurs en kabyle. Le problème des éditeurs reste posé. Il y en a quelques-uns qui publient des livres en kabyle. Mais de façon générale, les auteurs rencontrent des problèmes de moyens, de sérieux et de professionnalisme chez nombre d’éditeurs. Ce qui conduit certains écrivains à publier à compte d’auteur. Signalons qu’en dehors du HCA, l’Etat brille par son absence dans ce domaine. Les moyens mis en place, soi-disant pour promouvoir la culture amazighe sont détournés au profit de la folklorisation des événements organisés. Il est encore possible, heureusement, de se procurer un certain nombre de livres sur les réseaux sociaux», a-t-il indiqué. 

Production littéraire scientifique

Concernant la production littéraire de type scientifique, Kamal Bouamara signale que «la majorité des publications se limite à des dictionnaires et des lexiques. Il y a un vrai besoin de connaissance de la terminologie. Il existe aujourd’hui des lexiques d’informatique, d’électronique, de droit, etc. De même que certains auteurs ont rédigé des livres sur les Maths, l’Architecture, la Physique, etc.». Mais, regrette-t-il, ces livres restent dans les tiroirs, faute d’éditeurs. «Une des solutions pour sortir de ce problème infernal est d’encourager l’Etat à libérer des budgets et sensibiliser les opérateurs publics et privés au mécénat» préconise-t-il. Enfin, le conférencier a tenu à signaler l’existence de traductions du Coran et du Nouveau Testatment en kabyle». Ce dernier a été publié sous le nom d’«Awal N’Tuderth».

Ainsi, le Café Littéraire de Béjaïa continue son cycle de conférences en variant les thèmes et en diversifiant les sujets. Des invités de tous niveaux et compétences continuent à animer ces moments précieux que tout un chacun, et pas seulement parmi la classe intellectuelle, devrait honorer par sa présence.

N. Si Yani

Partager