Quand on se penche sérieusement et objectivement sur le cas de la famille Kafi, on se demande à quoi servent les commissions de logement créées au niveau des daïras et chargées d’étudier les dossiers, et à quoi servent les dispositifs sociaux mis en place pour la prise en charge des jeunes chômeurs. Le père de famille, Rabah, qui travaille à l’APC de Bouira, dépose, en 1990, au service du logement, un dossier sous le numéro 251. Devenus majeurs, ses fils, Ali, 31 ans, Ahmed, 29 ans, et deux autres encore font de même en 2012 et 2013. Et l’attente commence, interminable et pleine d’angoisse. La famille, composée de douze membres, occupe une sorte de local commercial à la cité Zerrouki, juste derrière la cité administrative. Le loyer est cher : 13 000 Da par mois, raconte Ahmed qui tient à tout prix à nous montrer le logis. « Il m’arrive souvent de passer la nuit dehors. Et pourtant, je ne suis ni un clochard, ni un voyou. Je ne fume même pas », assure notre interlocuteur. Pendant que nous cheminons, il nous avertit qu’il vient de perdre son grand-père. Le vœu de ce dernier n’a pas été exaucé. Il a prié pour qu’il ne meure pas avant de les voir occuper un logement neuf et leur calvaire terminé. La grand-mère vit encore. Un frère plus jeune lui ouvre lorsqu’elle frappe à la porte en fer à double battants.
Une cave en guise de maison…
Un instant après, nous entrons dans une espèce de cave où nous nous étonnons de ne pas voir des rats. Une fenêtre cependant donne sur notre droite. Le jour qui pénètre éclaire chichement une grande salle. On distingue la literie pliée dans un coin. Dans un autre est rangée la vaisselle. Sur un fil tendu d’un mur à l’autre sèche du linge. Le plafond assez bas est nu. Notre guide insiste pour que nous passions dans la pièce suivante. Plus exigüe et plus sombre encore, elle offre le spectacle désolant de son dénuement. On n’est déjà pas à l’aise debout. Qu’est-ce que cela doit être quand la nuit arrive est qu’on est à plusieurs dedans! Ils sont cinq frères ! Nous quittons ce taudis infâme fortement troublé. Le jeune homme montre la fiche familiale. Par politesse, nous jetons un coup d’œil sur le document administratif, mais par pudeur, nous nous abstenons de compter ! Le grand frère travaille chez un privé un vulcanisateur, à ce que nous avons cru comprendre. Il ne gagne pas des masses, loin de là. Lui, Ahmed, a bénéficié une fois du contrat ANGEM. L’année suivante, c’est le retour à la case de départ. Le contrat était d’un an et n’a pas été renouvelé. Suit alors le récit des déplacements de la famille qui est chassée d’un endroit à un autre. Cela avait commencé au Boulevard, à l’Est de la ville de Bouira. « J’y suis né», se souvient tristement Ahmed. Le père vivait avec son frère, à cette époque-là. Ce dernier ayant bénéficié d’un logement social, Rabah et sa famille se trouvaient dehors. Il a fini par dénicher un gourbi à Kassouri, au lieu-dit Draa El Khémis, à la sortie Nord de la ville. La famille s’y fixait pour quinze ans. Puis ça été au village de Saïd Abid, à cinq kms à l’Ouest de Bouira, que la famille Kafi passait dix ans avant d’être délogée par le propriétaire. De retour à Bouira, elle louait un logement à Ferrachati pour être de nouveau mise à la porte au bout de 3 ans. Le nouveau logement promet d’être moins longtemps à la retenir. Avec un tel loyer et au prix où se facturent l’eau, l’électricité et le gaz, et compte tenu des faibles revenus dont elle dispose, il serait miraculeux qu’elle soutienne ce rythme infernal sous ce toit pendant deux ou trois autres années. Tout le monde, à Bouira, connaît le problème de la famille Kafi.
Un cas connu de tous
Le jeune homme fut plusieurs fois reçu par un membre à l’APW et même à la daïra. « Parce que je ne crie pas, parce que je ne menace pas, comme font beaucoup d’autres, on ne m’écoute pas », fait remarquer Ahmed, amèrement. Mais alors, sur quels critères, sur la base de quel barème travaillent les commissions de logement ? Si être natif de la commune, si avoir un dossier vieux de près de vingt ans, si être père d’une famille composée de douze personnes ne suffisent pas, que faut-il donc avoir de plus ? Certes, on nous fait observer à la daïra que depuis 2006, il n’y a pas eu de distribution de logements sociaux, que ceux attribués en été dernier (quelque 500 à 600 logements) étaient dérisoires en regard des 5 000 demandes, que l’éradication des haouchs, dans le cadre de la rénovation de l’ancien tissu urbain de la ville, exigeait qu’on réserve un certain quota prélevé sur la totalité des logements sociaux achevés, tout de même, voilà un cas social préoccupant. D’autant plus que lorsqu’on voit au coin de certaines rues, sur les abribus et les murs des avis de vente de logements F3, et lorsqu’on voit également le renouvellement répétitif des contrats ANGEM, pré emploi et DAS, on est amené malgré soi, à s’interroger sur la façon dont fonctionne la justice sociale dans certaines communes…
Aziz Bey