Durant toute une semaine, les réseaux sociaux se sont enflammés à propos des travaux de restauration de la citadelle de la Casbah de Béjaïa. La crise était née du constat de visu, du changement de la couleur du mur d’enceinte, faisant craindre une dénaturation du site historique.
Une conférence fut vite organisée par la Direction de la culture de la wilaya de Béjaïa. Elle a réuni jeudi dernier, au sein de la bibliothèque de la Casbah, outre les responsables et cadres de la Direction elle-même, le Bureau d’Etudes Mahindad en charge du suivi des opérations de restauration, des entreprises en charge des travaux, des représentants du mouvement associatif, du Syndicat des architectes de Béjaïa ainsi que du Conseil de l’Ordre de ces mêmes architectes, et enfin des citoyens et représentants de la société civile. Après une présentation de la situation faite par Khellaf Righi, directeur de la culture de la wilaya, dans laquelle il a rappelé les conditions d’octroi du marché de la restauration du site de la Casbah, il a rappelé que les bureaux d’études spécialisés ne sont pas légion en Algérie. Insistant sur le fait que les travaux devraient être pris en charge par des opérateurs algériens, il a tenu à rappeler les conditions juridiques qui ne permettent pas à n’importe quel bureau d’études de s’engager dans ce genre d’opérations. «Aucun architecte ne peut intervenir sur un site classé sans agrément du ministère de la Culture», a-t-il tenu à rappeler. «Le bureau d’études choisi pour cette opération a cet agrément», a-t-il ajouté. Cette opération s’inscrit dans un programme plus vaste qui vise à restaurer plusieurs autres sites, dont Bab El Fouka, le Fort Abdelkader, le Fort de Gouraya et la Porte Sarazine, entre autres… Malheureusement, le nombre de soumissionnaires qualifiés est quasiment nul. De plus, les rallonges budgétaires demandées au gouvernement sont arrivées il y a à peine deux semaines. « Les appels d’offres vont être relancés dans les prochains jours», affirmé le directeur de la culture, avant d’ajouter que les démarches nécessaires à la création d’un secteur sauvegardé à la Kalaa Nath Abbas ont été effectuées, et que le texte officiel concernant la protection du site de Gouraya va sortir incessamment au Journal Officiel.
Le responsabledu bureau d’études en parle
Abderrahim Mahindad est le responsable du bureau d’études choisi pour le suivi des opérations de restauration de la citadelle de la Casbah. Il a rappelé que des études antérieures datant des années quatre-vingt-dix existent et qu’il avait fallu les actualiser. Sa mise à jour a concerné l’ensemble des constituants de la Casbah. « Depuis 2005, la réglementation exige un certain phasage des opérations. Il s’agit de respecter l’authenticité du site, faute de quoi il perd son classement », dira-t-il. Dans un premier temps, le bureau d’études a fait un premier constat visuel de l’état dans lequel se trouvait le site. Ensuite, il avait fallu prendre des mesures immédiates pour arrêter le processus de dégradation dans lequel il était engagé. Ensuite, le bureau d’études a établi un cahier des charges qui avait permis à la Direction de la culture d’engager les procédures nécessaires pour sélectionner l’entreprise ou les entreprises qui seront chargées des travaux. Il n’y avait pas d’entreprise capable de prendre en charge l’ensemble des travaux. Il avait donc fallu procéder à la séparation des lots, pour permettre à des entreprises plus modestes de prendre en charge des parties moins volumineuses, en fonction de leurs capacités et moyens. Les premiers travaux ont consisté à effectuer les travaux de drainage et d’étanchéité pour arrêter les méfaits des eaux de pluies, notamment. Ensuite, il avait fallu entreprendre une opération de désherbage et de débroussaillage du site. Il y avait comme une sorte de forêt qui cachait des pans entiers des murs de la Casbah, ne permettant pas de constater l’état dans lequel ils se trouvaient. En prenant la parole, Naima Mahindad, qui est enseignante universitaire, docteur en archéologie spécialisée dans les matériaux archéologiques, a repris tout le processus scientifique qu’elle a suivi dans la réalisation de son étude. Dès le commencement, elle a précisé que toutes les études effectuées sur le site de la Casbah sont conformes aux exigences de la Charte de Venise, qui exige le respect de l’authenticité des sites et biens à restaurer. «Après le désherbage, nous avons trouvé plusieurs parties du site qui menaçaient de s’effondrer», a-t-elle témoigné. Le site de la Casbah est un monument stratifié. A la construction initiale des Almohades, ont été ajoutées des constructions espagnoles, puis il y a eu des modifications ottomanes et enfin françaises. «Nous avons procédé au décapage pour pouvoir mettre un terme au processus de dégradation pour pouvoir y remédier et stabiliser la structure », a déclaré Naima Mahindad. «Il y a eu aussi des découvertes d’éléments qui étaient cachés. Et nous avons fait des relevés des différentes structures, a-t-elle ajouté. Durant les travaux, on a découvert une situation beaucoup plus grave que celle qu’on croyait au début». Le bureau d’études s’est aussi intéressé à la composition des matériaux utilisés sur le site : terre, tuf, chaux, gravats, … ainsi qu’à la structure de la construction, en particulier du mur qui est très épais. Selon la spécialiste du bureau d’études, «il y a une influence andalouse dans la construction de la muraille. Il y a eu un savoir-faire qui a été importé». Une étude en laboratoire a été faite pour déterminer la proportion des matériaux utilisés. Mais il n’y a pas eu que ces matériaux. On a aussi utilisé des matériaux incompatibles, tels que le ciment. Ce fut durant la période française, et ce choix n’a pas été heureux, puisqu’il a accentué l’état de dégradation du site. Suite à une autorisation obtenue du ministère de la Culture, trois types d’analyses physico-chimiques ont été effectuées. Et des similitudes avec d’autres citadelles ont été trouvées, notamment avec celle d’Alger. On a trouvé du gypse dans la composition des matériaux utilisés. Chose qui est rare, puisqu’habituellement, on trouve plutôt de la chaux et du calcite. Beaucoup de matière argileuse a aussi été trouvée. La couleur rouge est donnée par un composant ferreux. Ces matériaux ne sont presque plus utilisés aujourd’hui. C’est pourquoi les entreprises ont fait beaucoup d’efforts pour travailler dans des conditions inhabituelles. Elles ont été obligées à utiliser des outils différents, et à former leur personnel. En plus des travaux effectués, le bureau d’études a été obligé de laisser de côté des poches qui nécessitent des fouilles archéologiques plus approfondies. L’installation des échafaudages a fait en sorte que les murs ne soient pas percés pour éviter de prendre des risques de dégradations supplémentaires. La structure métallique de ces échafaudages ne fait que s’appuyer sur les murs, sans les transpercer. Pour réparer et sécuriser les murs, il faudra mettre en place trois couches de mortier. Il faut définitivement les protéger contre les dégâts des eaux de pluie, en assurant leur étanchéité. C’est la première couche mise qui a alerté les passants, croyant que les réparations allaient causer des dégâts, surtout après le traumatisme de l’effondrement de l’ancien tribunal mitoyen du site de la Casbah. Naima Mahindad rassure : «Nous avions l’habitude de voir le bâtiment dans cet état, et nous ne réalisions pas combien il était malade. L’objectif de ces travaux est de le soigner et de le remettre dans son état initial». Actuellement, des essais sont faits pour essayer de retrouver la couleur initiale et de la rendre au bâtiment une fois les travaux terminés. C’est un travail progressif qui demande du temps. Il faudra donc certainement de la patience. Le bâtiment date quand même du douzième siècle, faut-il le rappeler. Les travaux actuels donneront certainement une durée de vie plus longue au site qui sera transformé en musée, pour que la population puisse en profiter. Dépenser des sommes colossales pour un bâtiment qui sera fermé serait un non-sens. Après les différentes communications, les participants sont intervenus pour apporter un complément d’information ou poser des questions. Certes, il reste encore beaucoup à dire, mais dans l’ensemble, les participants se sont montrés rassurés. Peut-être pas tous, cependant. Ce qui permettrait de maintenir les citoyens dans un certain état de vigilance, et pousserait les acteurs de ce gigantesque projet à faire preuve d’encore plus d’entrain dans leur travail, notamment en communiquant sur l’état d’avancement du projet. Car en fin de compte, la société civile, qu’on le veuille ou non, est partie prenante de tout ce qui regarde la vie de cette ville de Béjaïa, et elle a le droit de savoir ce qui se passe. Cette crise, maintenant réglée, a soulevé ce problème de communication qui semble être récurent. Peut-être que l’organisation d’un point de presse mensuel permettrait à l’avenir d’éviter certains malentendus. Même si le directeur de la culture répète que les portes de son administration restent ouvertes à quiconque souhaiterait avoir plus d’information.
N. Si Yani

