Aller à la redécouverte de soi

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La manifestation « Constantine, capitale de la culture arabe » a fait couler beaucoup d’encre lors de la phase de préparation, qui remonte jusqu’à 2013, lorsque le gouvernement s’était noyé dans des projections de budgétisation pour des actions non encore bien identifiées; pendant également les dernières semaines qui ont précédé l’inauguration de l’événement, lorsqu’une course contre la montre était engagée par le wali et quelques ministres qui se rendaient jusqu’à trois fois par mois à la capitale provinciale de l’Est algérien pour être au chevet des projets non achevés, confiés à des entreprises parfois non qualifiées en matière de restauration des biens culturels. L’encre coula ensuite dès le moment où des informations circulèrent sur le refus de certains artistes kabyles de se produire dans une manifestation culturelle mutilée de son essence, à savoir la culture originelle de ce pays, Tamazight. La polémique enfla quand un médiocre polémiste, un cas même de psychopathologie du nom de Athmane Saâdi, président de l’Association de la défense de la langue arabe, intervint dans le quotidien Echourouk pour faire dans la provocation, en déclarant que Constantine était arabe depuis la haute antiquité à savoir avant l’Islam, et même avant l’ère chrétienne. Même si notre journal a tenu à répondre à ce sieur, ce n’était pas de gaité de cœur que l’on s’engage dans des polémiques stériles, avec des personnes, rentières de leur état, qui en font un métier. Saâdi ou son acolyte de la même association, Ahmed Benaâmane, n’ont jamais consenti un effort dans le sens même de faire aimer l’objet inscrit dans la « raison sociale » de leur association, à savoir la langue arabe. Tout ce qui est moderne dans cette langue, qui peut être positivé et exploité par les Algériens, ne fait pas partie de leur agenda. Pour toutes les erreurs fatales dont sont grevées les pièces d’État civile en arabe, (graphie des noms et prénoms, ville de naissance, parfois même le sexe de la personne), ces super zélés n’ont proposé ou trouvé aucune solution, alors que les services administratifs des tribunaux croulent sous les dossiers de demandes de correction présentés par les citoyens lésés. De même, les textes littéraires modernes, scientifiques, n’ont pas droit de citer dans les livres de lecture en arabe, aussi bien au collège qu’au lycée. Ce qui contraint les élèves à se persuader que la langue arabe ne peut véhiculer qu’une pensée moyenâgeuse désuète, un lexique liturgique juste bon pour la pratique religieuse et une vision du monde complètement déconnectée des grandes idées philosophiques, anthropologiques, sociologiques, etc. On viendra s’étonner par la suite que l’intégrisme ait habité l’esprit des jeunes écoliers et des universitaires. La polémique nourrie à propos de Constantine est malheureusement stérile. En amputant cette grande métropole algérienne de son riche passé multiculturel et cosmopolite, fait de fond berbère, de brassage phénicien, romain, byzantin, arabe, juif, turc, français, c’est toute l’Algérie, avec sa belle diversité permise par l’accumulation historique, qui s’en trouve émasculée. Il est vrai que les tentatives, vaines et puériles, de mouler l’Algérie dans la seule pâte arabo-musulmane ne datent pas d’aujourd’hui. « O toi qui crains la vérité! Elle repousse à chaque fois que tu la coupes », disait Aït Menguellet dans un poème du début des années 1980. Lorsqu’on la sollicite pour témoigner, dérouler ses charmes, raconter l’histoire, dire la poésie, les arts, les sculptures, les sépultures, l’architecture, les ouvrages d’arts, les bâtiments, la vieille ville, Constantine peine à assumer totalement l’intitulé de la manifestation qui lui est dédiée pour douze mois avec une première cagnotte de 700 milliards de centimes. Lorsqu’elle se met à dire tout cela, cette cité est amazighe, romaines, juive, turque, française et… algérienne d’aujourd’hui. Indubitablement, ce dernier qualificatif- cité algérienne- est le plus approprié. Non parce qu’il nous épargnerait le froissement de certaines sensibilités, mais parce qu’il est le plus vrai, la synthèse d’un parcours historique qui s’étale sur presque trois millénaires. Il n’y a pourtant rien d’unique ou d’insolite à cela. Il n’y a que l’école algérienne qui essaye d’insinuer, voire d’inculquer, une fantomatique « pureté » culturelle ou même ethnique qui n’existe dans aucune contrée du monde. Dans le cas de figure qui nous occupe ici, à savoir Constantine, un édifice concentre en son sein la mosaïque et l’itinéraire historique aussi bien de la région que de toute l’Algérie. Cet édifice se trouve en plein centre colonial de la ville. À quelques encablures du pont de Sidi Rached et du majestueux cours du Rummel, se trouve le Musée national Cirta. Nous nous y sommes rendus à deux reprises: 1986 et 2003. Dans un immense cri qui se confond avec non seulement l’histoire, mais également la protohistoire, ce musée dicte pour nous la marche pas à pas de la société algérienne, avec ses heures de gloire, ses fastes et triomphes aussi bien guerriers que civilisationnels, ainsi qu’avec ses déconvenues, ses replis et ses heures sombres. L’institution dirigée par Mme Daho Keltoum Kitouni est inaugurée en 1931. L’idée de sa construction remonte à 1852, soit moins de 20 ans après la prise de Constantine par les troupes coloniales. Une telle idée est venue aux autorités coloniales suite à des découvertes d’objets culturels, de sites, de bustes, d’instruments anciens, dont certains remontent aux deux étages de l’âge de pierre, le paléolithique et le néolithique. C’est que les wilayas de l’Est algérien, de Sétif jusqu’à Souk Ahras, d’Annaba jusqu’au sud de Tébessa, constituent un territoire ou un champ semé des éléments qui font l’Histoire de l’Algérie à travers les siècles. C’est dans le souci de réunir tous ces objets (silex, lampes, monnaies, bustes, armes en pierre, ustensiles en pierre ou en poterie, et même des mosaïques de plusieurs mètres carrés) dans un même endroit que l’idée de construire un musée a jailli. Ce sera le musée de Cirta qui occupe une place de choix dans le centre-ville coloniale de la ville de Constantine. À lui seul, le Musée Cirta déroule la saga de l’Algérie depuis la nuit des temps; concentre, résume et synthétise ce fleuve des apports culturels qui sont à l’antipode du monolithisme et de la vision étriquée que veulent faire valoir certains aigris et nationalistes de la 25e heure.

       Amar Naït Messaoud

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