Au-delà des campagnes de sensibilisation

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Les quelques discours qui seront débités ce 5 juin sur la célébration de la Journée mondiale de l’environnement, instituée depuis 1972 par l’Organisation des Nations Unies, risquent malheureusement d’être vite oubliés et recouverts par la laideur et la nuisance qui jonchent notre cadre de vie quotidienne. Si la thématique de l’environnement recouvre une grande palette de préoccupations inhérentes aux conséquences d’une vie « moderne » non maîtrisée (rejets industriels, déchets hospitaliers, pollution atmosphérique,…), l’Algérie traîne encore les conséquences d’une gestion approximative de l’espace et des ressources, au point de voir de sérieuses menaces peser sur son capital foncier, ses ressources hydriques et sa biodiversité. Sans doute, la Kabylie, -région montagneuse, proche de la mer, avec un étage bioclimatique majoritairement subhumide ou humide-, illustre mieux que beaucoup d’autres régions du pays la dégradation de l’environnement qui est à l’œuvre au moins au cours du dernier quart de siècle. Les incendies de forêts, l’urbanisation anarchique, la non maîtrise des études sur les infrastructures, l’absence d’une industrie du recyclage de déchets, l’incivisme de certaines franges de la population et d’autres facteurs encore, ont fini par donner de la Kabylie une image que l’on ne pouvait pas imaginer il y a trente ans de cela. Jamais l’environnement et le cadre de vie n’ont été aussi malmenés. Les rivières sont reconnaissables de loin en été rien qu’aux puanteurs qui en montent. Des ponts sont déchaussés et menacent de tomber à tout moment sur le cours du Sebaou suite aux extractions illicites de sable. Les routes sont obstruées par des coulées de boue à la moindre pluie d’automne ou d’hiver, parce que les talus sont dégarnis par les incendies. Les silhouettes noires de suie d’arbres calcinés (oliviers, figuiers, frênes, chênes verts,…) donnent une image d’une laideur indescriptible des pitons autrefois herbus et sonores par l’écoulement des eaux. Quant aux décharges sauvages, parsemant les villages, les routes, les retenues collinaires, les périmètres des barrages hydrauliques, les lisières de forêts, la presse de proximité en a tellement parlé au cours de ces dix dernières années, qu’elle peut constituer une encyclopédie ou un traité sur l’environnement.  C’est que toutes ces atteintes à l’environnement vont à rebrousse-poil non seulement des exigences écologiques telles qu’elles sont portées par la modernité mais elles sont aussi en contradiction flagrantes avec les valeurs de la société kabyle traditionnelle basées sur la gestion rationnelle des ressources. Cette préoccupation, à elle seule, dans une société poussée par la rigueur de la nature à une extraordinaire inventivité résume l’effort de l’homme pour maintenir les grands équilibres de la nature où se côtoient le capital biologique (faune et flore), le maigre potentiel foncier et les ressources hydriques. La modernité problématique, mal assumée, engluée dans la rente, non accompagnée d’une politique rigoureuse d’aménagement du territoire, a produit des dérives environnementales qu’il y a lieu de prendre en charge rapidement. En Kabylie, la prise de conscience a commencé depuis longtemps, même si elle est contrariée par le rythme de consommation charrié par la fausse prospérité et par les retards de sensibilisation au niveau du système éducatif. Même la chanson a pris en charge en Kabylie la préoccupation et l’idéal de la protection de l’environnement. Après avoir chanté la nature, sa beauté son opulence, son exubérance, Chérif Kheddam, Aït Menguellet et d’autres auteurs-composteurs de Kabylie ont crié leur angoisse face à la dégradation générale du cadre de vie. Un des albums de Zedek Mouloud, où il brosse un tableau noir du cadre de vie dans une Kabylie, naguère considérée comme havre de paix et de propreté il est question d’ « égouts béants et fétides » et de  »sachets volant au gré des vents comme des corbeaux ». C’est là le nouveau décor, triste décor, de versants, de talus et d’espaces autrefois herbus, florissants et exhalant mille senteurs. Que peuvent apporter pour les jeunes Algériens des journées comme celle du 5 juin, célébrée par toute la communauté internationale ? Il faudrait sans doute relativiser l’utilité des cérémonies et la portée des campagnes de sensibilisation. Que tous les jours de l’année soient des Journées de l’environnement !

Amar Naït Messaoud 

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