Les réseaux sociaux ont explosé avec les déclarations que Rachid Boudjedra vient de faire à une chaîne de télévision algérienne privée. L’auteur de L’Escargot entêté se confesse…sur sa religion qui n’en serait pas une, puisqu’il dit ne pas croire à la divinité ni à un quelconque message prophétique. Il n’en fallait pas plus pour que des dizaines de facebookers kabyles s’approprient Boudjedra, le mettent dans le giron des laïcs et des modernistes. L’émission dans laquelle l’écrivain est passé est intitulée « Tribunal ». Son animatrice se montra d’une rare médiocrité et d’un niveau juste bon pour poser des questions par élimination: « oui » ou « non. Le sujet aurait pris une autre dimension, plus philosophique, plus spirituelle même, en d’autres circonstances, mais avec…d’autres acteurs. A-t-on besoin de se faire étayer et assister par les déclarations ou confessions de Boudjedra sur la religion et la divinité pour prouver ou faire avancer les convictions et les pratiques laïques de la société kabyle? Est-il une référence philosophique ou politique? C’est que l’homme en question a une histoire autrement moins nette, plus complexe, derrière lui, étant aujourd’hui âgé de 74 ans. Les humeurs volages et les inconstances du personnage sont légendaires, comme sont légendaires ses attaques, stériles et animées par la seule malade de l’envie, contre les meilleurs intellectuels algériens. Y compris dont celui de qui il s’est revendiqué sur le plateau la télévision, à savoir Kateb Yacine. Il a dit que, le jour où il décida d’écrire, c’était « pour écrire comme Kateb ou mieux que lui ». Et bien, il suffit de chercher dans quelques archives des anciennes coupures de journaux pour savoir la haine viscérale qu’il nourrissait contre le père de Nedjma. Il le traita de tous les noms et en fit une forme d’obsession pour dire tout le « bien » qu’il pensait de lui. S’agissant de Mouloud Mammeri, nous détenons encore la page de Révolution Africaine où il voulut salir jusqu’à la cérémonie historique d’enterrement de Dda Lmouloud. Son article était intitulé « Les croque-morts ». Boudjedra soutenait que l’enterrement de Mammeri était « politique », et que les gens qui suivaient le cortège funèbre le faisaient comme les moutons de Panurge. Aujourd’hui, Kateb Yacine devient sa référence. Il se tient à distance de la religion et de la divinité alors qu’il n’avait rien fait, dans les moments d’inquisition, pour soutenir le projet de société laïc que défendait le camp des démocrates. Mieux encore, le revirement, cette fois-ci, n’a pas attendu des années pour se manifester. Il aura suffi d’une petite semaine, exactement trois jours, pour que Boudjedra renie ce qu’il a dit devant le plateau de la télévision. Lorsqu’il a été invité au cours du week-end dernier au Festival du film arabe d’Oran, il s’est dit bon musulman et qu’il a été simplement « trahi » par le jeu de la télévision, dans une émission qui a duré tenez-vous bien, 1h 20′. Pendant tout cet intervalle de temps, qui a permis à l’invité de « libérer » son cœur et sa conscience, on ne peut prétexter une quelconque prestidigitation de l’animatrice de l’émission qui l’aurait amené sur des confessions qui ne seraient pas les siennes. Le sujet lui-même, celui de Boudjedra dans sa relation avec la religion ou ses « confrères » écrivains, ne métrite pas, en réalité tout ce boucan, lorsqu’on connaît le caractère versatile et inconsistant du personnage. Il avait mille fois divorcé d’avec la langue française, le déclarant sur tous les toits, pour revenir dans son doux giron. Ce qui, cependant, tombe comme un cheveu sur la soupe dans cette histoire, c’est cette forme maladroite d’appropriation précipitée de ses déclarations par des animateurs de réseaux sociaux ou de sites internet. Ils auront vite déchanté. Les références des vrais intellectuels de Kabylie, ayant écrit en français ou en tamazight, poètes et chanteurs, suffisent largement à soutenir le projet d’un état séculier, laïc, dans lequel les convictions, comme celles de Boudjedra, à supposer qu’il en ait, n’ont pas besoins d’être criées au travers de l’écran de télévision.
Amar Naït Messaoud