Le mois de Ramadhan cristallise en son sein l’ensemble des contradictions et des ratés de la politique commerciale algérienne et, partant, de l’économie globale du pays. Si les regards sont braqués aujourd’hui sur le ministère du Commerce, l’on serait mal avisé de penser que cette administration, à elle seule, est fondée à réguler le marché de façon idéale. En réalité c’est sur les douze mois de l’année que la dérèglementation commerciale et les difficultés du pouvoir d’achat se font voir. Il n’y a qu’à revisiter les articles de presse des mois passés pour s’en rendre compte. Cependant, avec la culture de la surconsommation, due en grande partie à une élévation du niveau de vie de certaines franges de la population et à une vision strictement « œsophagienne » du mois de Ramadhan, l’on se retrouve devant une équation tendue où l’offre est souvent dépassée par la demande. L’activité du commerce est incontestablement le reflet des faiblesses de l’économie algérienne de façon générale, comme elle porte aussi le sceau de la déliquescence de l’autorité de l’État. Avec une part de l’informel qui brasserait quelque 40 % de la masse monétaire, la problématique est loin de se situer dans la simple décision de l’administration du commerce. L’on se souvient des événements de janvier 2011- dans le contexte du début du Printemps arabe- où le poids politique de l’informel s’est révélé au grand jour. Les enfants qui dressaient des barricades et allumaient des pneus n’avaient pas émis un quelconque « dégage! » comme l’avait fait la rue tunisienne ou cairote. Les jeunes, sans banderoles, s’étaient élevés contre l’augmentation du sucre et de l’huile, si bien que les médias ont fait bénéficier ces événements de l’appellation « émeutes de l’huile et du sucre ». La commission d’enquête de l’APN constituée pour rechercher l’origine de ces événements a présenté un rapport dont la teneur n’est pas connue à ce jour. La rue a aussi été utilisée par les barons de l’informel pour s’opposer à l’utilisation obligatoire du chèque dans toute transaction dépassant les 50 000 dinars, mesure prévue par la loi de finances complémentaires de 2009, et qui devait prendre effet à partir de mars 2011. La mesure fut tout simplement annulée. Le Premier ministre d’alors, Ahmed Ouyahia, déclara à la télévision que le pays était pris en otage par les barons de l’informel. Il s’était même permis de répondre à ceux qui se présentaient chaque samedi à la place du 1er Mai à Alger pour demander au pouvoir de s’en aller, en disant que ceux qui pouvaient réellement faire vibrer la rue l’on fait en janvier. Ceci pour signifier que les marcheurs du samedi ne l’effrayaient pas et que son centre d’intérêt est ailleurs, dans cette » prise en otage » de l’économie nationale par l’informel et quelques barons de l’importation. Ces deux acteurs, réunis par la même cause, à savoir la cupidité et la rapine, sont les premiers « opposants » en Algérie; car, ils s’opposent aux investissements nationaux, à la production locale et à la réduction de la facture d’importation, du fait qu’ils n’y trouveraient pas leurs intérêts. Avec le recul des recettes extérieures du pays depuis maintenant 11 mois, le gouvernement n’a d’autres choix que de réviser sa politique d’importation, dont le montant a atteint 60 milliards de dollars/ans, et d’initier une stratégie de diversification des activités économiques. Ce dernier volet prendra du temps. Il faudra améliorer le climat des affaires et soutenir les entreprises de production dans la sphère hors hydrocarbures (tourisme, artisanat, agriculture, agro-industrie,…). Les mesures d’urgence sont celles liées à la rationalisation des dépenses. Cela concerne aussi bien les subventions, qu’il s’agit de bien répartir sur les franges sociales qui sont dans le besoin, qu’une nouvelle régulation du commerce extérieur. Les licences d’importation sont un instrument de rationalisation des importations. Les différents secteurs sont appelés à établir une nomenclature et des volumes de marchandises susceptibles d’être importées, en se basant sur ce qui n’est pas produit en Algérie ou qui est produit en quantité insuffisante. La sphère informelle a fait l’objet de plusieurs réflexions, y compris la possibilité d’une amnistie fiscale à étudier par les pouvoirs publics, mesure destinée à intégrer dans la sphère légale l’argent brassé par ceux qui activent dans ce créneau. Cependant, l’on ne peut que saluer les premiers résultats, qui restent à confirmer et à améliorer, de la création de marchés de proximité qui commencent déjà à intégrer les petits commerçants qui encombraient les rues et quartiers. Même dans les villes où les jeunes s’étaient montrés la première fois réticents, voire carrément opposés à rejoindre ses surfaces mises à leur disposition par les pouvoirs publics, les choses ont fini par rentrer dans l’ordre. Reste la problématique de fond, celle qui commande de sortir de l’économie de rente pour s’appuyer sur une production diversifiée, ce sont tous les acteurs sociaux qui sont concernés: le gouvernement avec l’ensemble de ses membres, le patronat privé les syndicats, les ambassades algériennes à l’étrangers -qui seront appelées à faire jouer la diplomatie économique-,la sphère académique et universitaire et l’ensemble des structures de formation.
Amar Naït Messaoud