C’est toute la différence qui distingue l’ancienne ville de la nouvelle : autant la plus âgée parait revenue de tout et donne l’impression d’être plus rangée, plus assagie, plus tassée sur elle-même aujourd’hui, autant l’autre, plus jeune, plus vive, plus fêtarde, semble au contraire n’avoir froid aux yeux devant rien. Ce contraste est plus saisissant encore pendant le mois de Ramadhan. Dès que l’on emprunte, la nuit, le boulevard Zirout Youcef, à partir du pont Sayah, on est pris dans un mouvement de foule et de lumière qui ne s’arrête qu’à la cité Harket, vers la sortie Ouest. C’est devenu une promenade incontournable après la rupture du jeûne, à tel point qu’entre 21h et l’aube, toute circulation automobile cesse. La voie est entièrement réservée, pendant la nuit, aux flâneurs. Des jeux de lumières multicolores et intermittents, très divertissants, illuminent le boulevard sur toute sa longueur. Sur la rive droite, des boissons fraiches et des tables sont proposées aux familles, entre le siège de la wilaya et le lycée Mira. Mais si l’on bifurque, à droite, dès le commissariat central, le même flot ininterrompu vous entraîne par la rue Mahdid jusqu’aux bazars de Dubai et, au-delà jusqu’au marché Errahma. Une place, cependant, attire la foule de noctambules en offrant presque chaque soir, en ce mois de Ramadhan, des spectacles en plein air. Et là l’animation ne se limite pas aux variétés. Des jeux pour enfants font que cet espace devant la Maison de la culture ne désemplit pas. À côté de ce ruissellement de néons sans fin, de ces vitrines de bazars et de magasins violemment éclairées, de cette folle gaieté des soirées et des galas, bref de cette insolente richesse, l’ancienne ville parait bien pauvre, bien noire ! Les organisateurs de ces spectacles, la boudant, ont choisi la maison de l’environnement, sur la périphérie Est, pour ces soirées. On ne s’amuse plus, on ne rit plus comme dans le temps, dans l’ancienne ville. Ce mercredi soir où nous traversons la ville-fantôme presque de part en part, plus que jamais la solitude et la pauvreté de ses rues étroites et mal éclairées en beaucoup d’endroits nous frappent. Un sommeil de plomb pèse même sur les grandes artères, en l’occurrence la rue Larbi Ben Mhidi et la rue Bouabdallah. La soirée qui se donne ce soir est animée par quatre chanteurs. Le premier à monter sur scène, c’est kamouche Hamali. Cet artiste d’Ahl Ksar qui a, à son actif, quatre albums, a interprété quatre chansons, dont Djen Djen et Lala Melaoua qui ont enflammé la scène en forme de théâtre romain. Lui succédera aussitôt cheb Nabil. Ses chansons, un mélange savoureux de Raï et de Maghrébi, ont fait un carton. On citera entre autres «El Hbiba, je taime» et «Le fait qui djiti houa el plaisir». Ce jeune qui anime des galas depuis 95 produira prochainement son premier album. Chenaf Abelmadjid, lui, a son album sur le marché depuis 2009 et son public déjà. Etudiant, il anime à l’occasion des soirées à l’université. Son répertoire est vaste et comprend du folklore kabyle, du chaâbi et du maghrébi. Il interprète aussi des chansons d’Allaoua, Dahak, Hamidou. Ce soir, il a chanté entre autres chansons «Ittas», «Saskaghouri», «El hob oumzouarou». Ses participations aux semaines culturelles l’ont conduit un peu partout. La soirée s’est achevée avec cheb Rouchdi. Ses chansons fortement rythmées (la derbouka domine l’orchestre et parait animée d’un mouvement autonome) se déclinent en deux parties : des chansons staïfies et des chansons raï. L’atmosphère a tout de suite viré au délire. Jamais les jeunes ne se sont jusqu’ici lancés dans des danses aussi échevelées. Eux-mêmes paraissaient envoûtés par cette musique endiablée. Hélas, Rochdi, malgré le succès qu’il rencontre dans ses soirées et ses tournées qui l’ont porté de Bouira à Saïda, et de Tissemsilt à Tébessa, parle de mettre fin à sa carrière artistique. «Je vais bientôt arrêter. C’est ma conscience qui me le dicte», nous a-t-il confié à la fin de la soirée. Le public (les familles étaient en force), assis sur les gradins en forme de cirque romain, a applaudi à tout rompre. «El hbiba goulili je taime» (Magrhébi), «Khsara alik yel hbiba» (staïfi), Hazi Rasek, yana, (raï-marocain) sont quelques-unes de ses chansons. L’heure est fort avancée. Après le spectacle, le silence s’empare des lieux qui, sous les rayons de la lune, ont l’air enchantés. Il convient de signaler que, suite à une plainte émanant des riverains dérangés dans leur sommeil par le bruit, La Maison de la culture a décidé que ses soirées seront, désormais, organisées en salle.
Aziz Bey