Dans une ambiance bien de chez nous…

Partager

à vrai dire, l'odeur maghrébine est présente à travers quasiment le tout Paris. Mais elle se fait plus ressentir arrivant à mi-chemin du Boulevard Ornano en faisant irruption du nord, de Porte de Clioncourt.

Une allée adjassante porte d’ailleurs le nom « Rue du roi d’Alger ». Mais quel roi ? La pancarte n’en dit pas plus. A quelques pas de là Barbès s’impose comme une spectaculaire copie d’une toile 100% algérienne. Seuls la monaie, les uniformes des policiers et le viaduc du métro le distinguent de Bab El Oued. Barbès Rochechouart, c’est le centre névralgique du « royaume Barbès ». Ce n’est pas la principauté et ce n’est pas la France « classique » non plus. On est vraiment loin des étincelants tableaux du musée du Louvre, de la patinoire de la Mairie de Paris, ou encore du pavé des Champs Elysées, de la place de l’étoile.

Ici, le détail maghrébin est très présent. Rien à avoir avec Neuilly ou le nouveau quartier chic et huppé de La Défense… A Barbès, on a comme l’impression que les Français se font vraiment discrets de ce côté de la capitale, pour ne pas dire l’ont déserté… Le teint brun, le grand pont de la ligne 2 du métro qui sort de terre pour survoler ce carrefour mythique de Barbès et l’imposante bâtisse de TATI, aujourd’hui rachetée par le groupe Eram, dominent le décor. C’est à croire qu’avec les années qui passent, Paris a comme déménagé d’ici, et le bon vieux temps n’est qu’un lointain souvenir… Barbès représente en effet un grand pan de l’histoire de la vie parisienne.

C’était l’un des carrefours des plus grands noms français. Plusieurs personnages célèbres lui sont liés. L’immense Dalida a vécu rue d’Orchampt, à quelques encablures de la place qui porte son nom aujourd’hui. Elle y est enterrée aussi. Au cimetière de Montmartre. Doc Gynéco y a aussi vécu sa jeunesse dans une tour de cet arrondissement dont a été un jour maire le célèbre Georges Clemenceau. Aujourd’hui, le 18ème arrondissement semble être définitivement conquis par des « visiteurs » venus du sud. Du moins en partie. De ce côté des quartiers moins lotis de la Chapelle et de la Goutte-d’Or. Près de la moitié de la population résidante de moins de 18 ans est issue de l’immigration.

Les jeunes, d’origine maghrébine, subsaharienne ou turque, se sont « accaparé » les lieux. Ils semblent bien s’accommoder avec la gouvernance socialiste qui a le quitus depuis 1995. Les trois députés de l’arrondissement sont également issus du PS. On ne pife pas du Sarkozy dans les environs. L’ambiance est très populaire… le quartier est en effervescence continue. Les commerces tournent à plein régime. Les trottoirs et les routes toujours bondés. Des chantiers en activité le long du boulevard rajoutent du bruit et de l’action, en cette journée de canicule. La France, particulièrement ses Musulmans, passe un fin de Ramadhan assez pénible. A tout coint de rue, les vannes de secours sont lâchées. Particulièrement durant ces dix derniers jours, avant l’Aïd, où ça a frisé les 40°.

Dalida, El Maqrout et El Way Way…

Devant la station de métro Rochechouart, l’eau jaillit de toutes parts. Les jeunes, bleu blanc beur, s’éclatent dans leur dialecte… Un patchwork de mots empruntés aux langues arabe et française. Peu importe l’âge, ils se lâchent comme des mômes. Ca perpétue l’anarchie qui colle au quartier. Beaucoup de choses, que vous ne verrez pas ailleurs en France, sont paradoxalement courantes à Barbès. Ce n’est pas très propre ! Par ici, on coupe la route hors passages-piétons… normal ! On y marche le long de la chaussée tout aussi… normal ! Vous trouverez une moto stationnée à même le trottoir… normal ! Les « frères » ne se sentent vraiment pas dépaysés. C’est le charme de Barbès. Il y a certes certaines brasseries ouvertes, mais l’ambiance du Ramadhan domine. Elles sont vides. Pas un seul client par moments. C’est à croire qu’on est dans un pays à majorité musulmane. Et pourtant, même si les Maghrébins ont l’air d’envahir les espaces, on y croise aussi autant de Turcs, de Chinois, de Maliens… Et puis ce détail qui ne trompe pas: Les enseignes des magasins du Boulevard qui portent la mention « hallal » s’enchaînent presque à perte de vue. Même les kiosques multiservices vous indiquent bien que c’est « les plus bas prix pour appeler au Maghreb », avec drapeaux en exergue.

De chez certains disquaires, c’est le Raï qui fuse avec ce tempo nouveau du Way Way… Y’a pas à dire, Barbès est bien à la page d’Alger. Le quartier est un tabac (bureau) grand ouvert et à moitié prix s’il vous plait. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à dire de ce quartier nord de Paris, le plus grand tabac de France… Ce qui fait que même beaucoup de « malins » français y viennent spécialement pour se ravitailler. La marchandise: Malboro, Winston, LM, RYM, Nassim, Chema 30grs (tabac à chiquer)… vous est proposée à l’improviste sur le trottoir, devant la bouche du métro, sur la place des marchés… Mais pas seulement. C’est connu depuis plusieurs années, Barbès est réputé pour « les affaires bon marché ». Pour l’anecdote, Barbès a bien son Souk Delala (marché de frip’ en tous genres). Vous y trouverez tout en « occasion ». Des habits, chaussures, affaires scolaires, électroménager, téléphones, draps, couettes, ventilateurs, chaussettes… Les vols à la sauvette ce n’est pas quelque chose de rare dans les parages.

Rechechouart se vide sensiblement aussi lors d’El Iftar

La police semble même avoir de la peine à faire respecter l’ordre français. Quasiment impossible à un agent d’intervenir en solo. Deux ou trois saladiers guettent presque en continu et en retrait sur place. La police semble de ce côté faire plus dans la persuasion que dans la provocation pour éviter que ça dégénère… Surtout pas en cette période de Ramadhan où…la tolérance est de mise. Les pâtissiers et autres vendeurs de gâteaux, de fruits en profitent bien pour empiéter sur les trottoirs. Zlabia dans toutes ses versions, kal El Louz, Lesfendj (les beignets), Maqrouts, même des caisses de Hamoud Boualem (Boisson gazeuse DZ) sont étalés devant les magasins sous des parasols alignés. Toute la gastronomie algérienne y est. La saveur et les odeurs aussi. Et ça tourne à plein régime, surtout en fin d’après-midi (A l’approche du f’tour).

L’ambiance ne diffère en rien de celle des quartiers populaires d’Alger. Elle est même spontanément calquée. Les lieux ne désemplissent pas. Ca vend, ça crie, ça court, c’est vraiment mouvementé. Sur la chaussée aussi. Les voitures sont, aux moments de pointe, pare-chocs contre pare-chocs. Même les bicyclettes ont parfois du mal à slalomer. Ici, le couloir généralement réservé en France aux deux roues n’a pas encore ses droits. Il n’est pas encore généralisé sur toutes les voies. Peu importe. On y vient quand même faire ses achats même à vélo et à moto. De presque tout Paris. Barbès reste le souk (marché) le plus fréquenté par les Maghrébins. Même si on n’y habite pas forcément, les Algériens de Paris y affluent pour se ressourcer… Renouer avec… Rihat El Bled (l’odeur du pays). Et ce n’est pas du tout faux. A l’heure du F’tour (rupture du jeûne), les quartiers se vident presque pour ne laisser place qu’à quelques passants qui y transitent pour rallier les gares du Nord ou de l’Est. Dans les restos du coin, c’est la bousculade. On y propose des menus spécialement adaptés à la circonstance : Chorba frik, Tajine et autres spécialités algériennes…

Le tout dans une ambiance bon-enfant. A travers des fenêtres grand-ouvertes des bâtiments, c’est des « démêlés » d’assiettes, de cuillères et de fourchettes qui dépassent… Comme aux alentours des bâtisses populaires bien de chez nous… Au sortir, aussi comme ça se passe un peu partout dans les villes algériennes, notamment du centre, le monde se divise comme par enchantement en trois: Celui des kamis (Gandoura) et des fidèles en quête de la « séance » Tarawiw (Méditation à la mosquée) à travers les mosquées des quartiers avoisinants; Celui des accros au loto, direction les cafés-bars qui ont aussi tout organisé pour ce mois… Et enfin celui des non concernés qui continuent leur train de vie…normal. Partagé entre Barbès et Alger.

Djaffar Chilab.

Partager