La “Zawrara”, ou chant des olives

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Jadis, au temps où les Kabyles vivaient exclusivement de l’agriculture, des rites et traditions accompagnant les différentes activités, étaient très ancrés dans leur mœurs. Le travail était laborieux et demandait certainement des efforts de titans, et toute complexion ne répondant pas aux “exigences” des besognes, comme la force et l’agilité, est “priée” de prendre l’ombre d’un arbre ou d’un mur. Et afin d’alléger “les corvées”, car il fallait labourer, bêcher, creuser etc pour survivre, nos aïeuls et aïeules surtout, toutefois loin de toute ambition de devenir chanteurs et chanteuses, déployaient leurs cordes vocales et entonnaient des chants (cantiques, jubilaires, laudateurs…) dans leurs champs. Ce fut une manière kayblie de vivre. Parmi ces traditions séculaires, figurait la “zawrara”. Lorsque la période de cueillette d’olives arrivait. Les ménages automatiquement, se rendaient aux oliveraies. Et comme cueillir n’est pas un travail de tout repos, les femmes et surtout les vieilles entonnaient des chants afin de se décrisper et joindre l’utile à l’agréable. Les strophes sont chantées à voix haute. L’alto et la soprano se “marieaint” pour créer une voix unique, suave. Les vers, rimés, bien ciselé et désopilants pour quelques passages, “trinquaient” avec les monts dans un retour d’écho envoûtant.Les mots étaient simples, représentant les gestes de tous les jours. Le “visage” du texte était si doux, reflétant la force forgée par la nature à travers le lien “charnel” entre celle-ci et le paysan kabyle.L’on imagine l’ambiance d’alors, avec ces voix qu’entrecoupaient légèrement les gestes des mains qui gaulaient ou qui glanaient et le tout “baignaient” dans les rires et la convivialité laquelle laissait transparaître l’ingénuité et la candeur qui caractérisaient les gens de cette époque là.Texte de la “Zawrara” :Tekkat el gara / Tekkat f-inujal.A vav g-uhriq / El Qahwa d’-ufenjal.Tekkat el gara / tekkat-f-uzebbuj.A vav g-ubriq / Laâyun uferrujA wagi izegwin / Yaâtih saha.Ledraâ g-izem / D Mmi-s t’sedda

Ahaw a w’ladi / kemelt-agh tirniEl hal d laâcha / Rebbi akwen ihenniEl âaslama nwen / Ay at isgharenAnda it jjam / M-tawragh idarrenEl aâslama nwen / Ay at uzemmurAnida it jjam / M-tawraght g-umzur

Atsaya t tseddud / Lemlah ijebbudAxelxal deg dar / Achembir ichudAy imelqaden / d acu id quren ?D-adajin yerghan / tehan-t yemgharen.Traduction : La pluie tombe / Elle tombe sur les ronces.Ô propriétaire du champ / le café et la tasse.La pluie tombe / Elle tombe sur l’olivier.Ô propriétaire du champ / Les sourcils du perdreau.A celui qui gaule / Grâce lui est rendue.“Bras” du lion / Fils de lionne.

Allez-y mes camarades / Finissez les rangées.Il fait nuit déjà / Que Dieu vous allège le fardeau.Soyez les bienvenus / Ô ceux du bois.Où avez-vous laissé / Celle aux pieds livides.Soyez les bienvenus / Ô ceux de l’olive.Où avez-vous laissé / Celle aux cheveux blonds.

Elle arrive / Le sel aussi“L’Akhelkhal” (bracelet au pied) / “L’achembir” noué.Ô cueilleurs ! /Que dit-on ?C’est le chaud tadjine / Que les vieux ont mangé.(chaud tadjine : hot-dog kabyle ?).

Ces strophes ne sont pas exhaustives, la “zawrara” est en fait plus longue.Cette tradition a complètement disparu de nos jours.Tous ceux qui se rendent dans les oliveraies, n’écoutent plus ces chants qui se sont tus il y a de cela des décennies. Un pan de la culture kabyle s’est calciné sur le bûcher de l’oubli.Une autre coutume est pratiquée lors de la cueillette d’olives et qui n’est plus pérennisée aujourd’hui. Il s’agit de “Tiwizi” (l’entraide), ce mot vient du verbe “Awès” (aider). Lorsqu’une famille termine la cueillette de ses olives, elle prête main forte aux voisins ou aux amis, qui n’ont pas encore terminé. Une manière fort symbolique de souder et de forger des liens inaltérables et fraternels, loin de tout calcul malsain et de tout égocentrisme. “Tiwizi” à notre époque est oblitéré même du jargon des cueilleurs.

Micipsa Y.

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