Quels nouveaux leviers pour la justice sociale ?

Partager

La nouvelle conjoncture économique qui s’impose à l’Algérie et qui a pris son départ depuis la fin de l’été 2014, lorsque la contraction des recettes pétrolières s’est confirmée et a acquis sa part de réalité nationale, a permis de lancer des débats- formalisés ou menés à bâtons rompus- qui auraient été peu intelligibles du temps de l' »embellie financière ».

Ce fut, d’ailleurs, le cas lorsque des experts nationaux s’exprimaient à la télévision ou dans les journaux, en donnant, tantôt des massages subliminaux, tantôt des avertissements clairs au gouvernement afin de réfléchir rapidement à la meilleure manière de s’extraire à temps de l’engrenage de la rente, avant que le processus ne soit imposé aux Algériens par des moyens qui ne sont pas toujours les bienvenus, particulièrement dans un contexte régional qui n’attend qu’un léger glissement pour le transformer en grave dérive.

Cependant, il y a comme une logique infernale, un véritable engrenage qui a mis tout le pays, à commencer par les gestionnaires de l’économie nationale, dans une sorte de camisole de force. Avec ses groupes de pression, ses clientèles, ses faux importateurs, son marché informel qui brasse la moitié du PIB, le système de gouvernance nationale était figé dans une position d’attente.

La grande absente dans l’organigramme national et dans le travail de réflexion c’était exactement le prospective. Si des postes de responsabilité lui étaient réservés un certain moment, c’était presque de la poudre aux yeux, une façade d’ « intelligence économique » qui tentait vainement de redorer le blason de structures vétustes et obsolètes engoncées dans la seule logique de la rente. Psychologiquement, le système économique et social algérien était dans la posture d’un faux monnayeur dont la machine est emballée. Auriez-vous connaissance d’un faux monnayeur qui aurait volontairement arrêté sa machine ? Plus la monnaie s’écoulait sur le marché sans problème, plus le désir de fabriquer de nouveaux billets rongeait les entrailles du délinquant.

Il en sera ainsi jusqu’à ce qu’il soit arrêté par les services de sécurité. De par le monde, il n’y a aucun cas de fabricant de fausse monnaie qui aurait cessé son activité de son propre chef. Même avertie par des mini-secousses, comme en mai 2012 lorsque les prix du baril de pétrole perdirent entre 15 et 20 dollars, l’Algérie n’a pas pris le taureau par les cornes pour lancer une politique de diversification économique. Ses gouvernants avaient toujours nourri le secret espoir d’un redressement du marché pétrolier qui les sortirait du bourbier.

Et c’est un cycle presque régulier de mini-crises, de faux débat et de retour aux réflexes d’antan. Hormis le travail accompli par certains titres de la presse nationale- avec les limites objectives de ce moyen de communication dans une société peu portée sur la lecture, préférant le spectacle et le divertissement-, il serait ardu de dénicher un effort de pédagogie de la part des pouvoirs publics inhérent aux spasmes économiques que vit le pays, à la fragilité de la situation du pays et à la nécessité de passer à une autre étape, celle de la production et de la rationalité. Lorsque cela se fait dans certaines organisations politiques, c’est généralement à des fins règlements de compte entre personnes ou partis.

C’est un peu le spectacle, sous forme de passe d’armes, auquel on a assisté il y a quelques semaines entre le secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, et le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, à propos de l’opportunité et de la manière de dire la vérité au peuple au sujet de la situation financière du pays. Que l’on réfléchisse un peu à ce phénomène. L’Algérie en est arrivée, en 2013, à mobiliser près de 20 milliards de dollars pour les opérations de transferts sociaux. Ces opérations comprennent des aides directes aux consommateurs pour soutenir les prix de certains produits (eau, électricité lait, farine panifiable, autres produits alimentaires, carburants,…), et d’autres soutiens indirects (prise en charge par le Trésor public des intérêts bancaires des crédits immobiliers, défiscalisation de certaines activités d’entreprises jugées prioritaires, subvention aux structures de santé à la Caisse nationale de retraite, aux transport des marchandises vers les wilayas du Sud, primes scolaires, dispositifs des emplois d’attente…).

La communication : la grande absente

Certaines interventions de l’État sont opportunes et participent du principe de la justice sociale, d’autres sont contestables de par leur uniformisation qui, parfois, crée de nouvelles injustices. Quoi qu’il en soit, avec un tel montant alloué aux transferts sociaux, presque aucun geste de vulgarisation et de sensibilisation de la part des pouvoirs publics, si bien que, d’ailleurs, beaucoup de nos concitoyens ignorent que les prix de cession des carburants, du lait et d’autres produits soutenus, ne sont pas les vrais coûts de ces produits. Si aujourd’hui l’on s’amuse à apprendre aux gens le vrai coût d’un produit subventionné par l’État, certains tomberaient des nues. Les pouvoirs publics ont failli sur le plan de la communication.

On estime peut-être que c’est largement suffisant de chanter l’hosanna de la « médecine gratuite », de faire de l’affichage de la liste des bénéficiaires de logements sociaux un événement dans le landernau algérien- même si les listes sont souvent contestées et suivies de barricades ou d’émeutes-, et, enfin, de magnifier une école gratuite que l’on cherche maintenant à sortir des abysses de la médiocrité. La généralisation des subventions publiques a généré des gaspillages qui, par exemple, ont amené l’Algérie à importer des carburants pour 3 milliards de dollars/an au cours de ces cinq dernières années.

La communication et la sensibilisation ne sont pas les vertus et les forces les plus présentes dans les institutions publiques. D’où, aujourd’hui, la grande difficulté de dire la vérité au peuple et de prendre les décisions qu’impose la nouvelle conjoncture économique. L’appel des organisations patronales, lancé mardi dernier, en vue de revoir le système des transferts sociaux, aura-t-il une chance d’être entendu ?

Amar Naït Messaoud

Partager