Par Abdennour Abdesselam
Paru en 1990 aux éditions Bouchene-Awal, l’ouvrage de Tassadit Yacine est une véritable révélation sur le sentiment d’amour vécu en Kabylie. L’auteure annonce en quatrième de couverture qu’une légende tenace veut que l’amour dans la société kabyle traditionnelle n’existe pas… et que la langue n’a pas de mots pour le dire. A travers son sens aléatoire, le terme légende en lui même suggère la non vérification du fait annoncé et ce ruisseau de poèmes édités que nous propose l’auteur est la puissante preuve que l’amour en Kabylie a bel et bien existé. Il est vrai que la profusion des écrits à connotation orientée, intentionnelle et qui réduisent les valeurs des sociétés dominées est en réalité l’aveu d’une impuissance intellectuelle de leurs auteurs à saisir réellement l’âme des peuples. C’est le cas précisément de la société berbère de Kabylie longtemps victime de cette approche estropiée. Ainsi, il en est quelques anthropologues, ethnologues, ethnographes étrangers (français pour la plupart) et même quelques récents auteurs de Kabylie qui leur ont emboité le pas pour des objectifs non avoués et qui ont tous présenté la société kabyle comme «non civilisée», «coercitive», «indigène», «arriérée», «archaïque», «primitive» et qui «baigne dans une culture infamante». Leurs écrits sont dominés par le facteur de puissance impérieuse. Et ce qui échappe aux impérieux, c’est cette imprégnation de la société kabyle dotée d’un esprit de liberté de liberté de penser et sa capacité aussi rapide qu’étonnante à évoluer malgré les influences de quelque doctrine que ce soit, religieuse ou idéologique. Comme par hasard, le sujet commun de ces «spécialistes autoproclamés» de la société kabyle c’est le rapport entre l’homme et la femme kabyles, décrit sous des prismes déformants. Et la cinglante réplique déjà apportée par Boulifa en 1891 au général/anthropologue français Hanauteau sur le sujet est un bestseller. Mais aucune fiction, c’est à dire «targit – pluriel : tirga», aussi loin voudrait-on la faire aller, ne saurait abîmer la réalité kabyle présente. Curieusement, tous ces «spécialistes» oublient ou feignent d’oublier pourtant que la ceinture de chasteté a été l’acte le plus abominable infligé à la femme dans la société occidentale et qu’elle n’a pas été pour autant, une invention kabyle. Ainsi, l’ouvrage de Tassadit Yacine est une désapprobation aux aventures hasardeuses qui soutiennent que l’amour en Kabylie n’a jamais existé ou le voilent d’un silence complice. Non pas que je nie une relative réalité sociohistorique qui a certainement marqué la Kabylie, mais convenons que toutes les sociétés humaines sont passées par-là et comme elles, la société kabyle a fait sa mue.
Abdennour Abdesselam