Des mesures vont être prises afin « d’améliorer la visibilité des universités algériennes pour qu’elles soient mieux classées au niveau international ». Ce sont là les propos de Tahar Hadjar, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, prononcés dimanche dernier au cours d’une intervention qu’il a faite à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de l’alimentation, tenue à l’École nationale supérieure d’agronomie d’El Harrach. Le ministre précise son projet en déclarant: «Nous allons améliorer le classement de nos établissements avec certaines mesures faciles et pratiques». Il s’agit, selon lui, de «sensibiliser les enseignants et chercheurs quant aux procédures de publication des articles dans des revues scientifiques internationales et au respect de la dénomination des établissements universitaires selon une nomenclature bien connue».
Le paradoxe dans cette affaire réside indubitablement dans la non-reconnaissance, par les autorités algériennes, des classements effectués par des institutions internationales pour les universités à l’échelle du monde (comme le Shanghai 500, où aucune université algérienne n’est citée), à l’échelle de l’Afrique et même du monde arabe (où l’Algérie se tient à la queue du peloton). Cette reconnaissance est le fait des différents ministres qui se sont succédés au poste de l’Enseignement supérieur et du directeur à la Recherche scientifique au sein du même ministère. Comment, de cas de figure, travailler à chercher un meilleur classement aux universités algériennes dans une critériologie que l’on réfute? Le ministre mentionne le fait qu’ «il y a un grand nombre d’enseignants qui contribuent dans des revues internationales mais sans mentionner les établissements auxquels ils appartiennent. Cela nous fait perdre beaucoup de potentialités d’être mieux classés». Ce n’est là qu’un critère parmi tant d’autres sur lesquels se basent les différents classements; il est loin d’être déterminant à lui seul. Tahar Hadjar ne semble apprécier les articles de presse qui rapportent les faits relatifs à la médiocre place de l’université algérienne à l’échelle continentale ou mondiale. «Des publications de presse disent que l’université algérienne est en bas de l’échelle. Ce n’est pas vrai, la preuve en est la réussite de beaucoup d’étudiants et chercheurs algériens à l’étranger», s’indigne-t-il. Devrait-on prendre une exception pour une règle? Est-on en droit de comptabiliser la réussite personnelle de certains universitaires, qui ont fait des efforts individuels et des compléments de formation pour se mettre à niveau par rapport aux institutions universitaires et académiques dans lesquelles ils entendent poursuivre leurs études? Le ministre reconnaît, quand même que «le niveau souhaité n’est pas encore atteint». Il a révélé par ailleurs, que son département avait demandé à toutes les universités au niveau national de préparer une étude précise sur le tissu industriel national en vue de concrétiser un projet relatif à l’entreprise, qui devrait être lancé par son ministère en 2016.
Selon lui, «chaque université doit avoir un programme de développement économique et social basé sur des fondements scientifiques bien précis afin d’apporter des solutions aux questions économiques».
Cette stratégie, visant à établir des passerelles solides et dialectiques entre l’université et le champ économique national, a bien tardé à s’exprimer. En d’autres termes, hormis le prestige et le caractère budgétivore de cette institution, on a du mal à identifier, au sein du travail de l’université une part d’impact sur l’économie nationale. La crise financière qui tient en otage l’économie nationale depuis plus d’une année, peut-elle être une occasion pour réviser l’état de notre université et lui assigner une vocation sociale et économique?
Quel rôle jouera l’université dans la refondation économique?
Si le généreux principe de la démocratisation de l’enseignement a flatté l’ « égo » national avec les statistiques qui expriment le nombre d’universités, de centres universitaires, de départements, de spécialités et d’étudiants en graduation/post-graduation (1,5 million), d’autres statistiques risquent de fortement relativiser ces performances et de nuancer l’excès d’optimisme nourri pendant des années. Ainsi, sur toute la population active déclarée en chômage, plus de 200.000 jeunes/an sont des primo-demandeurs diplômés de l’université. Ceux qui, parmi les anciens contingents, sont considérés comme étant professionnellement insérés ou intégrés, une grande partie figure, en vérité sur des emplois dits d’attente (pré-emploi, DAIP,…) que les mesures d’austérité budgétaire en préparation risquent de « balayer ». Une grande partie reste dans la situation de chômage pendant plusieurs années avant d’opter parfois, en désespoir de cause, pour des activités qui n’ont aucune relation avec leur formation, y compris dans le circuit du commerce informel. La rigidité du marché du travail pour les universitaires est loin de se confiner à un manque de postes de travail. L’économie algérienne, dans sa phase d’ouverture sur le marché libre, commence à ressentir d’immenses besoins en ressources humaines qualifiées, aussi bien dans la catégorie de l’encadrement que celle du personnel d’exécution. La rigidité du marché du travail est donc aussi alimentée, en grande partie par un déficit, de qualification et de formation et, également, par une certaine inadéquation entre les débouchés professionnels existants et les profils des spécialités assurées par l’université. Il semble que la priorité dans le travail de réhabilitation de l’université algérienne ne soit pas une quelconque « obsession » de lui chercher une classification qui flatterait la politique nationale en la matière, mais de se fixer des objectifs pragmatiques liés à la relation entre l’université et l’entreprise, à la recherche appliquée, à l’amélioration générale du niveau de formation loin des carcans et questions-pièges, du genre « confrontation » entre le LMD actuel et l’ancien système. À un certain niveau de connaissances, de rang académique et de responsabilité pédagogique, il ne devrait pas y avoir de cloisonnement entre les systèmes. Donc, au-delà du souci de classement, qu’on n’est pas obligé de monter en épingle rien que pour figurer dans une liste, plus que jamais, l’université est appelée à jouer d’abord un rôle fondamental dans la refondation économique, que la crise des recettes extérieures du pays rend plus qu’indispensable, vitale.
Amar Naït Messaoud
