Durant la guerre de libération nationale sont apparus de nouveaux mots français induits par la confrontation militaire et inexistants auparavant dans le langage de la population kabyle. Le soulèvement de 1 871 de Chikh Aheddad était bien loin et a été surtout de très courte durée (pas plus de quatre mois avec 20.000 kabyles tués selon l’historien Amar Ouerdane) et aucune influence linguistique n’a eu lieu. Par contre, durant les sept années de guerre (1954-1962), les citoyens de Kabylie se sont ingéniés à acclimater les mots français directement dans la structure de la langue berbère. Ce phénomène de kabylisation des mots guerriers ont été plutôt l’œuvre des femmes. Avec un géni particulier, elles ont incrusté les structures de la langue à tous ces mots belliqueux. Ainsi, il en est de : Rafouj (pour refuge) ; Lagrounad (pour la grenade) ; Laviyouwat (pour les avions) ; Labri (pour l’abri) ; Leka (pour le camp) ; Rratissage (pour le ratissage) ; L’imbiskad (pour l’ambuscade) ; chif usiktour (pour le chef de secteur) ; Latak (pour l’attaque) ; Lavantkat ou Lmitrayouz (pour la mitrailleuse améliorée en 1924) ; Lamat ou Lmitrayat (pour la mitraillette); Lipara (pour les parachutistes) ; Yarrounda (pour il s’est rendu) ; Rrabitayma (pour le ravitaillement) ; Lyoutna (pour lieutnant) ; Aqebtane (pour le capitaine) ; Abatayoun (pour un bataillon) ; Legroup (pour le groupe) ; Rruplan (pour l’avion confondu avec le terme aéroplane), etc. Ainsi donc, une bonne poignée de mots français sont «broyés» par le système de la langue berbère de Kabylie pour enfin paraître comme faisant partie de la langue, elle-même. Ces mots kabylisés individuellement ou dans des combinaisons d’un mot kabyle et d’un autre mot français à l’exemple de : «Axxam n rafuj» qui signifiait une famille dont la demeure était devenue le refuge des combattants de la liberté pouvaient obéir au soucis de rentabilité de facilité et d’urgence nécessaire recherchées dans la communication rapide pour les besoins de l’époque et de surcroit devenue massivement en usage quotidien. Face à cette autre bataille langagière, on n’avait pas le temps de construire des néologismes pour ces mots dans la langue de la région car le temps n’était pas à la science de la linguistique mais à un besoin pressant et impérieux des besoins du langage. Par contre, les maquisards, eux, faisaient plutôt usage de mots directement tirés de la langue arabe comme : Nnahiya (pour le secteur), Lfouj (pour le groupe); Ldjounoud ou Lmoudjahidin (pour les combattants) ; les commandements militaires comme : Starih, Staeâed, etc, sont le produit linguistique obtenu au cours de la formation militaire dans les maquis. Il faut aussi ajouter que la plupart des maquis possédaient des transistors à l’écoute des émissions en langue arabe émises à partir de la Tunisie ou encore de l’Égypte. Cette constatation globale valait une chronique et déjà des étudiants ont été mis sur cette piste pour une étude plus approfondie et plus poussée pour entrevoir d’autres objectifs pour ces usages et mieux comprendre les réactions sociales.
Abdennour Abdesselam