Comptes d'apothicaires

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L’avant-projet de loi de finances de l’année 2016 sera examiné en plénière ce dimanche par l’Assemblée populaire nationale. Au cours de ces dernières semaines, ce texte était entre les mains des membres de la commission des finances de l’APN où il a fait l’objet de débats intenses. Il a même suscité de vives polémiques au sein et à l’extérieur de l’Assemblée pour les orientations qu’il compte imprimer à l’économie nationale sous le sceau de la « rationalisation » des dépenses et de la rigueur budgétaire. Peu importe les mots, tant qu’ils ne sont pas complètement assumés, et publiquement, par leurs auteurs. Ce qui compte, dans ce cas de figure, c’est bien les chiffres et les décisions prises ou proposées. En effet, sans doute depuis une vingtaine d’année – y compris dans le climat de la terreur islamiste et du Plan d’ajustement structurel (PAS) imposé par le FMI à notre pays-, le gouvernement n’a pas eu affaire à une situation similaire; c’est-à-dire passer d’une embellie financière, où les gestionnaires de l’économie nationale ne comptaient pas les sous, à une diète financière et sociale en l’espace d’un exercice budgétaire. Il faut reconnaître que personne ne trouve son compte, tout le monde est embarrassé par la nouvelle arithmétique imposée au gouvernement, aux députés des deux chambres et aux citoyens qui, en dernière instance, seront les victimes expiatoires d’une mal-gouvernance qui aura duré plusieurs années, adossée à la seule rente pétrolière. La commission des finances de l’Assemblée nationale a trouvé mille difficultés à équilibrer ses comptes, à tracer la frontière entre la rationalité économique et la stabilité sociale, à accepter les augmentations de taxes sur plusieurs produits- à commencer par les carburants et l’électricité- et à prêcher, en même temps, la défense des intérêts de leurs électeurs. La semaine passée, cette commission a quand même su se « dépasser » en annulant une clause qui, s’il elle était maintenue, aurait été un précédent dangereux. Il s’agit de l’article 71 de l’avant-projet de loi qui prévoyait la possibilité pour le gouvernement de toucher à certains articles ou clauses de la loi de finances, même après son adoption définitives par les deux chambres du Parlement. Le gouvernement qui a inséré une telle clause comptait assurément- si le « populisme » et l’intransigeance de l’APN l’emportait pendant le vote en plénière- « remodeler » à sa guise la loi de finances. À « sa guise », c’est sans doute trop dire. Si volonté de remodelage il y a, ce serait certainement suite à une éventuelle aggravation des marchés pétroliers, qui sont, ces derniers jours, dans leur plus mauvaise posture, avec un baril de 39/40 dollars. Depuis le début du mouvement de chute des cours du pétrole, les réserves de change de l’Algérie se sont rétractées de plus de 33 milliards de dollars, selon les révélations de la Banque d’Algérie à la fin du mois d’octobre dernier. Jusqu’à juin 2015, ces réserves formaient une provision de 160 milliards. Cette provision était de 193 milliards en juin 2014; c’est-à-dire un mois avant le début du recul des cours de pétrole. Aujourd’hui, l’équation n’est pas facile pour une économie qui a trop versé dans la facilité pendant des décennies. Incontestablement, les mesures prises dans l’urgence pour arrêter l’hémorragie des devises dans le cadre des importations, pour introduire des augmentations de taxes sur certains produits, pour limiter les financements des grands projets d’infrastructures en procédant à un gel de certains d’entre aux, ces mesures-là même si elles sont justifiées dans l’immédiat par l’effet de la contrainte, ne pourront jamais se substituer à une politique économique d’un nouvel ordre, basée sur les potentialités diverses que compte l’Algérie. Une politique dont le moteur et le cœur sont l’Entreprise. Publique ou privée, on a presque fini par oublier- par la griserie de la rente- que l’entreprise est le seul lieu de création de richesses et d’emplois. La loi de finances 2016, qui compte aussi des mesures en faveur des entreprises, mais qui restent manifestement insuffisantes, n’est, sans doute, que le début d’un processus de remodelage de la typologie de l’économie algérienne, avec les risques et les contraintes qu’un tel mouvement charrie pour la stabilité sociale. Visiblement, après tant d’années d’errements et de gouvernance économique sans boussole, hormis la boussole du marché pétrolier, il n’est pas simple de « tenir la balance droite au milieu de tant d’empires », pour paraphraser Bossuet.

Amar Naït Messaoud

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