Quelle culture des droits de l'homme en Algérie ?

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Il y a 30 ans, en décembre 1985, la Kabylie était en ébullition, lorsque des militants des droits de l'homme, majoritairement de la région, s’étaient présentés devant… la Cour de sûreté de l'état pour création d'organisations illégales (la première ligue des droits de l'homme dans l'histoire du pays et une organisation autonome des enfants de chouhadas).

Mokrane Aït Larbi, Saïd Sadi, Ferhat Mehenni, Hachemi Aït Djoudi, Ali Yahia Abdennour, et la liste est longue. C’était un « crime de lèse-majesté », sous un régime de parti unique, gagné par la peur d’un avenir incertain, par la pénurie des produits alimentaires et par le début de la crise des recettes pétrolière. Cette dernière, en se combinant avec la fermeture étanche du champ politique et médiatique, aboutit à l’explosion populaire d’octobre 1988. On ne pouvait pas admettre qu’il y ait un autre son de cloche. On nous assurait même que les droits de l’homme étaient respectés et qu’il n’y avait pas lieu de leur créer une ligue. Mais, contradiction flagrante et scandaleuse! Le régime, en libérant les prisonniers, suscita, avec les méthodes qui lui étaient propres et habituelles, la création, en 1987, d’une ligue officielle. Pour ceux qui ont oublié ou ne savent pas pourquoi le rallye Paris-Dakar de course auto/mot, drivé par Thierry Sabine, ne passe pas par l’Algérie, l’épisode de 1985 est édifiant. L’ancien itinéraire s’appelait Paris-Alger-Dakar. À la fin de l’été 1985, une des chaînes de télévision qui avaient accompagné les équipes sur Alger, était impressionnée par la tension du climat politique à Alger, quelques semaines après l’incarcération de dizaines de militants des droits de l’homme et des enfants de chouhada, majoritairement issus de la Kabylie. La télévision en question faussa compagnie aux équipes du rallye et se rendit en Kabylie pour réaliser des reportages sur la révolte des jeunes qui marchaient chaque jour à Azazga, Larbaâ Nath Irathène, Michelet, Draâ El Mizan,…pour réclamer la libération des détenus d’opinion. Ce mot n’existe pas dans le lexique algérien. Les militants étaient accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat. La pression de la rue en Kabylie et la sympathie et soutien des organisations des droits de l’homme dans le monde, ont pu aboutir à la libération des détenus, condamnés à trois ans de prison. Après la diffusion en France du reportage sur les événements de Kabylie, le gouvernement algérien a décidé de ne plus rééditer l’autorisation de passage par Alger du Rallye Paris-Dakar.

Où en est la culture des droits de l’homme?

Hormis une belle carte postale dépliante éditée au début des années 1990 par le photographe Mohand Abouda, comportant les 30 articles de la déclaration universelle des droits de l’homme, on est en peine de pouvoir signaler des actions d’envergure portant sur la sensibilisation à une thématique qui a constitué le fondement même des révolutions du XVIIIe siècle en Europe. Les promesses données par l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Boubekeur Benbouzid, d’introduire l’enseignement des droits de l’homme dans les écoles du pays, ont été aussitôt oubliées, comme sont oubliés également ses engagements à initier les élèves à la géologie des séismes. Cette dernière idée a effleuré l’esprit des responsables de l’Éducation nationale juste après le grand tremblement de terre de Boumerdès. S’agissant de l’enseignement des droits de l’homme, ce qui pouvait être vu comme une « coquetterie » intellectuelle ou une fantaisie de la part des concepteurs de l’idée, est pourtant une préoccupation réelle des Algériens, même si elle ne s’exprime pas exactement sous cette dénomination. Et l’on serait mal inspiré de limiter l’idée des doits de l’homme à la seule liberté d’expression, qui peut, d’ailleurs, être sans grande conséquence sur le cours des événements, si des facteurs liés à la culture et à l’éducation sont mis sous le coude. La Journée internationale des droits de l’homme, fêtée le 10 décembre, est consacrée cette année à la thématique intitulée « 20 ans de travail pour vos droits », qui fait référence à la création, en 1993, du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Cette instance, fondée par l’assemblée générale des Nation Unies, a été chargée de « promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme ». La journée du 10 décembre correspond à la date où a été adoptée en 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme dont l’article premier proclame: « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Les trente-et-un articles de la Déclaration engagent tous les États membres des Nations Unies à « assurer, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies, le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales », comme le stipule le préambule de la Déclaration. Sur le plan formel, l’Algérie dispose de trois ligues qui se donnent pour mission de défendre les droits de l’homme dans notre pays: la LADH, la LADDH, aile Benissad et l’aile de Hocine Zahouane. À cela s’ajoute la Commission consultative de promotion et de protection des droits de l’homme, présidée par maître Farouk Ksentini et rattachée à la présidence de la République. S’agissant de la situation des doits de l’homme en Algérie, Farouk Ksentini estime, dans une déclaration faite en 2013, que « le pays a fait de grands pas dans le respect de la liberté individuelle, celle de la presse, le renforcement de la démocratie et la justice »; cependant, ajoute-il, « il y a beaucoup de choses à faire, et ce, dans tous les domaines liés à la justice (…). L’Algérie n’est pas un état de droit dans le plein sens du terme, même si nous sommes sur la voie de l’être ». Ksentini, représentant pourtant une instance officielle faisant partie des organes de l’État, s’en prend véhémentement à ce qu’il appelle « l’industrie » de la détention préventive. « Elle a enregistré des progrès au lieu de régresser », souligne-il. Il dit avoir saisi le nouveau ministre de la Justice qui serait décidé à intervenir pour mettre un terme à ce « reflexe » qui porte indéniablement atteinte aux Droits de l’homme. Cependant, on a du mal à bien suivre les explications et les assurances de maître Farouk Ksentini, développées au cours de son intervention. On aimerait vivement croire à tous ces principes de tolérance, de liberté individuelle et collective, de liberté syndicale, des droits de la femme, mais aussi des droits sociaux sur lesquels le monsieur « droits de l’homme » a tenu mettre essentiellement l’accent.

Les remises en cause de la décennie 1990

Le souvenir de l’action de ses prédécesseurs à cette fonction, en l’occurrence maîtres Kamal Rezzag Bara et Ali Haroun, est encore présent dans les esprits. Dans la période la plus dramatique de l’histoire contemporaine de notre pays, on nous a prématurément projetés dans une modernité politique et institutionnelle peu commune. Mais c’était un moment où le droit le plus élémentaire que l’homme et l’humanité n’ont cessé de défendre depuis la venue de l’homme sur terre, à savoir le droit à la vie, était renié foulé piétiné. « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne », proclame l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme de 1948. Mais, étrange difficulté pour les défenseurs des droits de l’homme du milieu des années 1990, l’atteinte au droit à la vie n’était pas le fait de l’État- situation  »classique » que les défenseurs des droits de l’homme ont l’habitude de traiter en Amérique latine (dans les années 1970), en Palestine (depuis 1948) ou au Sahara occidental (depuis 1975)-, mais cette atteinte était le fait de groupes terroristes organisés, se drapant d’une idéologie religieuse extrémiste. La tâche n’était pas facile pour les défenseurs des droits de l’homme, vite accusés de soutenir le régime politique contre une  »opposition armée ». Les données étaient visiblement mal perçues à l’extérieur, lorsqu’elles ne sont pas sciemment déformées, d’autant plus que l’Algérie était affaiblie par le passage sous les fourches caudines du FMI et de sa « thérapie » de choc appelé plan d’ajustement structurel. En déplacement à Paris, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, vient de rappeler un pan de cette triste période devant la communauté algérienne en France. Il rappela sa fonction de ministre de l’Intérieur qu’il occupait alors, placé aux avant-postes de la lutte antiterroriste. Pendant cette période trouble, il y eut certainement des abus ou des excès dans la conduite du front sécuritaire. Ce serait une autre coquetterie de prétendre éviter totalement des dérives, qui sont généralement des comportements individuels. Bien entendu, ils ne sont pas moins condamnables. Sortis de cette phase troublée de leur histoire, les Algériens, avec le retour à la paix et montée en flèche des recettes pétrolières, ont espéré une nouvelle ère pour eux et leurs enfants. Plus de justice sociale et moins de hogra. Dans la foulée de l’embellie financière, et parallèlement aux programmes de développement décidés par le président de la République, le pays a été contraint de vivre des affaires de corruption qui ont scandalisé le président de la République lui-même. Ces révélations de grande corruption ont été faites dans un moment de grande ébullition sociale et dans le contexte de ce qui est appelé « Printemps arabe ». Les tentatives malsaines d’ « introduire » le Printemps arabe en Algérie ont été vaines. Et c’est alors que l’on parla une nouvelle fois de droits de l’homme qui seraient bafoués en Algérie. Mais, on est à mille lieues de la réalité vu les enjeux politiques et économiques que de telles accusations cachent.

Droits politiques et droits sociaux: un lien dialectique

Indubitablement, la culture des droits de l’homme est un long processus qui s’alimente à partir de l’effort de réflexion, d’acquisition des valeurs de la citoyenneté du respect de la différence et de l’éducation aux valeurs du travail, de la culture et du respect d’autrui. Dans le contexte politique, culturel et social- qui est loin de prendre un caractère accidentel ou conjoncturel- que les Algériens vivent depuis plusieurs années- l’on eût souhaité que la défense des droits politiques, culturels et économiques des citoyens soient publiquement assumés par l’ensemble des acteurs d’une élite politique qui se dit postée sur le front des luttes sociales et politiques. Il se trouve que l’on baigne malheureusement dans une inénarrable situation où le tragique le dispute à l’absurde. En pleine prospérité financière du pays, sans précédent dans l’histoire contemporaine, les exclusions sociales et les facteurs d’atteinte aux droits de l’homme se sont multipliés d’une façon inattendue. Les chiffres de la détresse sociale, qui jette dans les bas-fonds de la situation de l’infrahumain des couches entières de la population, ne sont pas vraiment connus dans le détail. La Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’homme remet, chaque année au président de la République, un rapport sur les droits de l’homme dans notre pays. La virulence du rapport remis en 2012 a soulevé des vagues au sein même des cercles officiels, surtout lorsqu’il a abordé le volet de la corruption et les risques de l’explosion sociale, outre la situation des prisons algériennes ainsi que les éléments d’information liés à ce qui est appelé les libertés individuelles et collectives. Incontestablement, et selon toutes les conventions internationales relatives aux droits de l’homme, l’exercice des droits politiques- multipartisme, élections libres,…- sont dialectiquement liées aux droits sociaux, culturels et syndicaux. La citoyenneté est un tout qui ne saurait tolérer un « saucissonnage ». Ce serait, en effet, une grave hérésie ou une malveillante ruse politicienne de vouloir avancer que les revendications sociales seraient complètement « apolitiques ». Le mot  »politique », qui crée un engouement aveugle chez certains et qui installe de la phobie chez d’autres, devrait être apprivoisé et  »humanisé » pour qu’il ne signifie plus ni rente ou abus de pouvoir, ni cas pendable d’hérésie.

Amar Naït Messaoud

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