à l'image des capitales mondiales qui, gagnées par la psychose des attentats, s'apprêtent à réveillonner sous haute protection, la Kabylie, et l'Algérie en général, ne nage pas dans la liesse non plus, elle qui est appelée à traverser ce passage vers 2016 dans le deuil.
Les différentes localités ont prévu, en effet, d’observer une veillée à la mémoire du héros Hocine Aït Ahmed dont l’enterrement, doit-on le rappeler encore, est prévu demain vendredi 1er janvier 2016 en son village natal à Ath Ahmed dans la région de Michelet. Une région en effervescence depuis l’annonce du décès d’Aït Ahmed, pour réussir le plus digne hommage à ce valeureux enfant du patelin qui s’est sacrifié pour son pays. C’est dire que le réveillon on n’y pense pas vraiment pour ne pas dire pas du tout. Mais le souci est de mettre tout au point pour réussir à contenir la marrée humaine qui va déferler sur ce petit bourg à l’occasion. Le corps ne sera rapatrié sur place que demain, mais tout le monde converge déjà vers ce bourg qui fait désormais l’actualité. Une actualité de fin d’année dont la mort d’Aït Ahmed ne constitue pas le seul point funeste du reste, particulièrement pour la Kabylie endeuillée de toutes parts. Comme si le sort avait décidé de s’acharner sur elle avec les décès coup sur coup de plusieurs figures chéries de diverses localités. Pour ce seul mois de décembre, la Kabylie a perdu la légende Taleb Rabah à Iferhounène, le jeune prodige Samir Ouali à Tizi-Ouzou, l’immense historique Aït Ahmed à Michelet, et comme un malheur ne vient jamais seul, l’artiste Yasmina vient aussi de perdre son fils du côté de Tirmitine… Forcément, de ces montagnes de Kabylie, le ciel ne peut être vu clair, combien même il serait d’un azur impeccable. Il y a des situations comme ça où l’être vit et voit de son intérieur, présentement attristé. Il n’y a alors plus de place à la joie, à la liesse, à la gaieté… On se fout éperdument de la beauté du paysage, de la verdure, on perd l’appétit, on apprécie moins les lumineux rayons du soleil hivernal, on n’accorde plus d’attrait aux fleurs, difficile alors de se souvenir des goûts du réveillon… Un peu comme le suggère Serge Reggiani dans « Venise n’est pas en Italie ». Pour lui Venise est seulement partout où tu peux être heureux. Et quand cet être, qui t’est cher plus que tout, n’est plus là il emporte alors presque tout avec lui ! Et on n’a plus goût à rien.
Point d’emballement…
Mais cela n’empêche la vie de continuer, le monde de tourner, les montres d’avancer, les gamins de sautiller… et certains commerçants occasionnels d’exploiter le calendrier… Le tableau qu’offre la placette de l’ancienne mairie du centre-ville de Tizi-Ouzou résume singulièrement la situation. Le décor est fait d’un compromis bâtard entre deuil solennel et réjouissance commerciale… Une bonne partie de la façade de cet édifice est couverte d’un géant portrait du défunt Aït Ahmed frappé d’un bandeau noir, pendant que le pourtour de la placette est occupé par quelques marchands vendeurs de bonheur circonstanciel. Vous avez un peu de tout. Une sorte de petit bazar dédié aux chérubins : Des ballons en tous genres, des déguisements, des prises de photos sur cheval ou poney, ce petit cheval à taille basse qui rappelle les nains de Fort Boyard… On propose des montées en selle assorties de photos imprimées pour les enfants. Les passants marquent des arrêts. D’autres y viennent spécialement. Il y a du mouvement et ça met en place une certaine ambiance sous le regard hagard d’Aït Ahmed figé dans son portrait suspendu du haut de la bâtisse. Ca donne une certaine vie aux lieux. On aurait pu penser à venir déposer des fleurs, une bougie au pied de l’enceinte, faire de ce lieu symbolique un emplacement en hommage à sa mémoire, une sorte de place de la République bis à Tizi-Ouzou, mais… C’est comme ça, personne n’y a pensé. Car c’est ici qu’il avait proclamé pour la première fois la naissance du FFS un certain 29 septembre 1963. Aujourd’hui, l’esplanade est ornée de petits sapins et fait office d’une sorte de marché du réveillon. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, elle est même l’un des rares lieux qui vous fait rappeler le passage au nouvel an. Excepté les pâtisseries qui sont quasiment unanimes à débarrasser leurs étals pour ne laisser place qu’à la buche… On voit aussi un certain achalandage consistant chez les vendeurs de poulets et dindes… Mais c’est très différent des réveillons précédents. La rue ne vit pas vraiment d’engouement. Pas d’ambiance festive. Le marché n’est pas du tout en essor. Le contexte pesant a pris le dessus. Même à travers les télévisions et radios nationales, point d’emballement. Les programmes sont d’ailleurs réduits aux infos, quelques émissions sur l’Histoire sinon c’est soit les madih religieux ou de la musique classique, suite au deuil national de huit jours décrété. C’est vraiment morose comme ambiance. La crise y a certainement mis du sien aussi.
Djaffar Chilab.