Ath Abdellah-Ouali renoue avec Thimechret

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Le village d’Ath Abdelah-Ouali, relevant de la commune d’Ath-Rached, à une quarantaine de kilomètres au Sud-est du chef-lieu de wilaya de Bouira, était en liesse le week-end dernier, fier de retrouver une de ses traditions ancestrales qui est « lewziaa » ou « timechret ».

C’est à l’occasion de Yennayer que les membres du collectif citoyen du village ont voulu, cette année, renouer avec cette tradition ancestrale, que le village n’a pas perpétrée depuis 2008. Depuis quelques jours déjà les préparatifs allaient bon train. Les villageois et dans un sursaut de solidarité sans précédent étaient tous mobilisés pour la réussite de cet évènement qui devait regrouper l’ensemble des familles des villages, ainsi que d’autres des villages voisins et de plusieurs localités de la wilaya de Bouira. Ainsi et dans un temps record, puisque les préparatifs n’ont commencé qu’à partir du 20 décembre dernier, les villageois ont pu rassembler tous les moyens nécessaires à la réussite de cet évènement. Entre camion-citerne, achat des veaux, bouchers, transport et autres moyens, tous les citoyens du village se sont mobilisés et n’ont pas ménagé d’efforts pour réunir toutes les conditions. «Même avec le peu de temps qu’on avait, presque 30 jours, la mobilisation de l’ensemble des villageois, nous a permis d’être très confiant pour la réussite de l’évènement», nous dira M. Laribi Amirouche, l’un des initiateurs de cet évènement. D’après notre interlocuteur, les préparatifs se sont faits dans une ambiance de solidarité qui a réuni toutes les familles du village. «Toutes les familles du village ont adhéré à notre appel. Les villageois étaient tous conscients de l’importance de l’action et de leur implication pour sa réussite. Et c’est ainsi que nous avons recensé en un laps de temps, pas moins de 1 000 noms qui ont tous payé une cotisation de 2 000 DA. La nouveauté cette année, est que nous avions permis à des citoyens d’autres villages et d’autres régions de nous rejoindre dans notre fête. C’est, ainsi, que des citoyens de plusieurs villages de notre commune, et des communes de Bechloul, El-Asnam, M’Chedellah, Bouira, Aïn-Bessem, Sour El-Ghozlane et même des wilayas de Tizi-Ouzou et de Blida, nous ont honorés cette année avec leur contribution. Une occasion pour nous pour leur faire découvrir notre village, notre région et notre tradition qui date de plusieurs années», nous a-t-il confié. Les familles démunies, ainsi que les veuves du village n’ont pas été oubliées, puisque le comité d’organisation a prévu plusieurs quottas à ces familles, qui ont été distribués gratuitement. «Près de 70 parts ont été réservées et ont été distribuées gratuitement à des familles démunies de notre village et à d’autres familles d’autres localités. Nous avons aussi prévu d’organiser un diner collectif «Immensi n Tardart» au profit de deux familles ayant deux décès au village. C’est une autre manière d’afficher notre solidarité avec eux pour leurs pertes», nous dira M. Kamal Khitouche, un autre initiateur de cet évènement. D’après notre interlocuteur, au moins 10 veaux ont été achetés et sacrifiés à cette occasion. «Notre fête s’est déroulée en deux jours, vendredi et samedi. Le premier jour c’est au niveau de la sortie du village que l’ensemble des villageois se sont regroupés pour sacrifier les veaux, les découper et transporter la viande dans des camions frigorifiques vers la maison de Tajmaât. Aujourd’hui et comme vous le voyez, l’ambiance est toujours conviviale et nous sommes en train de partager la viande», ajoute Kamal.

Ambiance conviviale

Un tel événement est toujours vécu passionnément par la population. La joie des retrouvailles avec toutes les familles qui ont émigré et toutes les filles du village mariées à l’extérieur, et enfin la joie de renouer, l’espace d’une journée, avec la solidarité qui caractérisait dans le passé tous les villages kabyles. «Tous les fils du village sont revenus aujourd’hui, c’est tout simplement une fête !», nous dira Essaid Habache, un villageois qui s’est déplacé en compagnie de ces petits enfants sur les lieux de Timechret. «Même des immigrés de France, ont tenu à s’inscrire et a participer avec nous aujourd’hui. C’est une tradition ancestrale que nous tenons à sauvegarder et à transmettre aux générations futures», ajoute notre interlocuteur. Le mot «solidarité» retrouve son véritable sens : rassembler tout le monde autour d’un même idéal, l’entraide, le soutien, la compassion, le partage, le pardon…. Dès le petit matin, la grande place du village commençait à se remplir. Le siège de Tajmâat (comité des sages) du village, devenait l’épicentre d’une attraction pittoresque. On se prépare à rassembler la viande des dix taureaux qui étaient immolés la veille, conformément aux rites traditionnels et musulmans, puis dépecés en parts égales qui comprendront des morceaux de viande provenant de toutes les parties de la bête (de la meilleure pièce de la cuisse jusqu’aux boyaux). La distribution de la viande est un moment crucial. Sur la base d’une liste préalablement préparée pour les besoins de l’événement, chaque foyer aura droit à sa part de viande qui servira à la préparation du dîner familial. «Après la finalisation de dépeçage, nous passons à l’opération de distribution, en faisant l’appel un par un, et tous les citoyens inscrits sur notre liste auront des parts égales», explique Kamal.

Dda Kaci, la mémoire vivante du village

Parmi les personnes présentes, avant-hier samedi, les regards étaient particulièrement tournés vers Dda Kaci Himoume, 92 ans, l’un des anciens villageois à avoir vécu la période des Oulamas Muslumans au village d’Ath- Abdellah-Ouali et à contribuer, depuis son jeune âge, à l’organisation de ce genre d’initiative de solidarité. Dda Kaci, que nous avons approché a tenu à nous relater l’histoire de l’implantation de cette tradition chez les Ath Abdellah-Ouali. Une tradition centenaire à l’aspect double, religieux et social. «C’est en 1948 qu’a eu lieu la première Timechert au niveau du village. C’est à cette même place que L’Bachir Ibrahimi, Fodhil ouertilani, cheikh Abbas et cheikh ouilbani, étaient tous présents ce jour-là», nous dira, avec beaucoup d’émotion, Dda Kaci. Notre interlocuteur nous affirma, aussi, que les autorités militaires françaises ont essayé à maintes reprises, d’interdire la tenue de ce genre d’avènements au niveau du village, mais en vain, grâce notamment à la mobilisation de l’ensemble des villageois. «Les français n’aiment pas nous voir regroupés et organisés, sous n’importe quelle forme. Ils ont essayé même d’interdire la tenue de Timechert. Mais notre détermination a fini par l’emporter et depuis, jusqu’à ces jours, nous n’avons jamais cessé d’organiser Timechert, car non seulement c’est une tradition que nous préservons mais aussi c’est un acte symbolique de résistance pour les villageois au départ contre l’occupant français et aujourd’hui contre les conflits sociaux, les devisions et l’éloignement de nos fils de leur village», ajoute Da Kaci. Notre interlocuteur affirme, également, que l’école coranique du village a contribué effacement à la transmission de cette tradition vers d’autres villages et régions de la wilaya, à l’image des Ath-Hamdoun, Ath-Yâala et M’Chedellah. «Comme aujourd’hui, on invitait, autrefois, nos voisins pour venir nous assister et nous aider, car notre objectif était de généraliser l’acte de résistance citoyen à l’occupant français !», ajoute-t-il. Timechret se révèle être un rite social séculaire qui se pratique, non seulement pour célébrer un événement comme cela se faisait dans le passé (début des labours, approche du Ramadhan ou de l’Aïd, arrivée des pères de famille qui ont émigré depuis fort longtemps pour fêter leur retour… ), mais aussi “timechret” est organisée pour permettre la préservation du tissu social, protéger son homogénéité et éloigner le mauvais sort. La cherté de la vie incite également les gens à recourir à la solidarité et à l’union pour se soustraire aux relents des mauvaises conditions de vie qui caractérisent la société villageoise en Kabylie.

O K.

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