Cette expression n’a rien de prétencieux ni de triomphaliste. Elle est une simple figure de style, par laquelle la couturière du village éponyme parle de son acharnement au travail et de sa passion pour son métier.
D’une façon générale, la robe d’Ahl Ksar la porte autant que la jeune fille la porte elle-même. Et ce qu’elle affirmait-là à la dernière exposition où nous la rencontrions l’autre jour, à l’occasion de la fête de Yennayer, vaut pour elle aussi bien que pour sa création au propre comme au figuré. Pour l’avoir portée à ce degré de perfection, changeant ici un motif, là une nuance de bleu, de roue ou d’orange, l’allongeant d’un centime ou la raccourcissant, ajoutant un pli ou le retranchant au gré de sa fantaisie créatrice, pour la rendre plus ou moins ample, le costume qui fut porté autrefois par une vraie princesse kabyle ayant fui le reproche paternel pour avoir aimé et osé l’afficher, tend sous les doigts de Faïza Marakchi à se rapprocher du modèle idéalisée par elle.
Portée au propre et au figuré
C’est bien habillée à la manière de cette princesse qu’on appelle Melawa, que l’exposante nous a offert un entretien au milieu d’une foule de visiteurs venus admirer ce chef d’œuvre décliné en plusieurs modèles. Tantôt, c’est le noir qui prévaut pour montrer que les habitants d’Ahl Ksar ont conservé quelque chose du deuil, ressenti à la mort brutale de la jeune fugitive qui, acculée par les gens de son royal père, se serait jetée du haut de l’un des deux pics qui se dressent à quelques kilomètres au sud de Bechloul, tantôt c’est le rouge pour montrer que les souvenirs qui s’étaient estompés avec le temps ont laissé plus de place aux réjouissances. L’après-midi de ce jour, elle allait la porter pour le concours de la plus belle robe kabyle. Sa confiance était totale quant aux résultats : elle était certaine de l’emporter. Elle l’a emporté. Ne l’avait-elle pas déjà eu, ce prix, ici même, il y a quelques années ? N’avait-elle pas décroché la première place au concours de Sétif qui récompensé le meilleur costume traditionnel féminin ? C’était le 25 mai 2015. N’avait-elle pas été sollicitée par le ministère de la Culture pour qu’elle cède deux robes au musée ? Ce même ministère ne lui avait pas délivré en novembre dernier, une attestation lui reconnaissant le premier rang à l’échelle nationale, une médaille et un chèque de quarante-sept millions ? Le wali, peu avant cet entretien, ne l’avait-il pas chaleureusement félicitée pour son savoir-faire ?
Évidemment, il y a les autres. Et elles sont aussi ambitieuses et aussi talentueuses. Faïza ne l’ignorait pas. Mais elle avait toujours compté sur son ardeur au travail et son endurance. Et cela marchait à merveille. Absorbée totalement par sa tâche, elle passait toute la journée et une grande partie de la nuit à peaufiner son ouvrage. «Je n’écoute pas les chansons, je ne regarde pas la télé. Je reste des jours sans jamais mettre le nez dehors», nous dira-t-elle. Alors elle était sans souci face à ses rivales. Celles qu’elles rencontraient dans les expositions organisées au niveau de la wilaya, mais également celles qui se tenaient dans les autres wilayas, comme Constantine, Sétif, Khenchela, Alger, Mascara, Ghardaïa et Béchar. Dans cette ville du sud, où elle s’est rendue deux fois, la photo que nous donnons ici la montre dans une robe assez différente de celle qu’elle portait à notre entretien, plus moulante et où le noir dominait. Ici, sur l’image, elle semble avoir été conçue avec le souci de l’harmoniser avec l’environnement. Comme on voit le rouge a le dessus sur le noir comme pour mieux se fondre avec la couleur blonde du sable. Ainsi, l’artiste apporte sa touche en fonction de l’environnement, de la saison et de l’événement, trois éléments essentiels pour varier à l’infini son modèle.
Une robe pour danser
Faire connaître son modèle, non seulement à l’échelle nationale à travers les expositions, mais aussi par d’autres voies, habiller des chanteuses lui semblait une bonne idée. Déjà elle a vu Massa Bouchafa avec une de ses robes. Et comme cette dernière est une grande star et que ses chansons la portent jusqu’aux États-Unis, Faïza est toute fière des voyages que faits ainsi sa robe et c’était comme si elle-même voyageait. N’y a-t-elle pas mis son cœur et son âme ?
Cette idée d’habiller les stars lui a été donnée par le chanteur Kamel Chenane qui, selon elle, aurait offert ce cadeau en signe d’admiration à Massa Bouchafa. Comme Massa Bouchafa aime chanter et danser, la robe lui convient parfaitement. Comment savez-vous que c’est votre robe, puisque Chenane ne vous l’a pas acheté directement ? lui avions-nous demandé. «C’est la mienne. Parce que je sais la reconnaître d’un simple coup d’œil. C’est un peu comme votre signature. Personne ne peut limiter. Vous seule pourrait la reproduire», avait-elle expliqué. Une robe pour danser ? La couturière d’Ahl Ksar acquiesçait. On danse avec la robe d’El Ksar, ou pour être exact, selon la jeune artisane, il y a une danse pour la robe Kabyle. Cette danse s’exécute à deux : deux filles se font face et exécutent des figures avec les mains. C’est un message. Capté par d’autres, il donne lieu à une autre danse qui se veut la réponse à ce message. Mais ce message reste toujours empreint de respect et d’amitié. Une manière subtile de saluer une cousine, de montrer que la fête est belle ou qu’elle manque d’un peu d’entrain.
Cet après-midi, au concours, il y a eu donc un défilé et la robe d’El Ksar, qui a évolué dans cet espace, n’a pas dû manquer de saluer ainsi sa cousine Iwadyène, mise en compétition par Nawel de Bouira et principalement par Nouara de Chaabat Braham. Mais il n’y a pas que les expositions, les concours et les artistes pour aider à faire la promotion du produit artisanal de Faïza. Il y a également l’internet. Et la couturière d’Ahl Ksar compte ouvrir un site pour exposer ses modèles.
Aziz Bey