La situation que traverse l'Algérie au cours de ces dernières années, aussi bien sur le plan politique et économique que social, est faite de lourdes interrogations dans un décor de flou artistique, où les citoyens ont besoin d'être éclairés sur les perspectives qui s'esquissent pour leur devenir et pour le pays d'une façon générale.
Pour toute réponse, les citoyens ont affaire à un brouillard épais caractérisé par l’hypertrophie de la « politique », au sens péjoratif, à un galimatias communicationnel- où se confondent rumeurs, humeurs et fantasmes- et à un vide effarant de l’intermédiation sociale, supposée être assurée par la société civile et le monde associatif. Face à la rigidité des structures administratives et à la tentation autoritaire et face aux ambitions des politiques, qu’elles soient légitimes ou démesurées, les citoyens, vers lesquels le regard du fisc se tourne depuis que le budget de l’Etat est en situation de crise, risquent de n’appréhender la nouvelle conjoncture que sous l’angle d’un bras de fer entre gouvernants et gouvernés, entre l’Etat et la société. Ce qui serait dommageable non seulement pour la paix sociale, mais également pour les chances de rebondissement et de catharsis collective. Les espoirs fondés un certain moment sur le mouvement associatif- particulièrement après l’ouverture de la brèche démocratique en 1989- n’ont pas tous été exaucés. Loin s’en faut. Le mouvement centripète des partis politiques autour des centres de décision et de la rente, n’a pas tardé à absorber et pervertir une grande partie du capital associatif, engrangé au temps de la clandestinité et du travail bénévole. Après plus d’un quart de siècle de pluralisme politique, syndical et associatif, le moins que l’on puisse dire est que le tissu associatif algérien est loin de répondre aux idéaux pour lesquels il a été fondé. Le sort des associations- quels que soient les objectifs qu’elles poursuivent- n’est pas plus brillant que celui des partis politiques. Dans certains cas, il peut être pire du fait que les animateurs des associations ne sont pas censés être candidats à des postes politiques rémunérés ; ce qui augmente leur frustration et les fait souvent pencher vers les partis où certaines organisations et associations sont complètement diluées et phagocytées. Dans l’absolu, les associations à caractère social, culturel, scientifique ou professionnel sont considérées comme des « pores »’ par lesquels la société respire. Elles sont supposées jouer le rôle de contre-pouvoir et de féconde interface, là où les abus de la bureaucratie et de l’Etat viennent à se manifester. Enfin, c’est une école de formation des élites et une rampe de lancement des futurs leaders dans divers domaines : politique, économique, scientifique, etc. L’on est en droit de se poser la question de savoir si les milliers d’associations- soit plus de 90.000- agréées au niveau des différentes wilayas du pays depuis la promulgation de loi de décembre 1990, prolongée par celle de 1992, puis par la loi de 2012, sont-elles un gage de bonne santé de la société et prennent-elles en charge les vraies préoccupations des franges des populations qu’elles prétendent représenter ?
Lorsque la question vaut réponse
Au regard des cercles concentriques que les regroupements appelés associations dessinent autour de certains intérêts rentiers ou claniques, la question vaut réponse. Pour ne pas verser dans le nihilisme de mauvais aloi, il importe de signaler des situations d’exception où certaines associations, soutenues par des volontés individuelles très fortes, continuent d’honorer, bon an mal an, leur contrat avec les catégories et les franges sociales qu’elles se donnent pour objectif d’assister.
À ce niveau de réflexion, il y a lieu de signaler l’important travail auquel s’attèlent différents collectifs et comités informels et de façon quasi anonyme pour rendre service aux populations dans certains quartiers et villages. On imagine bien les difficultés d’un collectif qui ne se soumettrait pas à la règle de l’agrément. Il est boudé et « mal aimé » par l’administration. Mais, certains continuent à privilégier cette voie par rapport aux contraintes, à la bureaucratie et à la pression de l’administration. Dans la littérature relative à la société civile- dans un pays où les valeurs morales, les compétences scientifiques et l’esprit critique ont été bridés et pervertis par le système depuis des décennies-, la sémantique a bien évidement subi une importante entorse. C’est un peu à l’image de ce qui s’est passé dans les pays de l’Europe de l’Est au temps des « démocraties populaires ». La particularité de l’Algérie étant liée à la colonisation qui a déstructuré les bases culturelles et sociales du pays; ce qui a conduit à la non-émergence d’élites de la société civile. La gestion rentière et clientéliste du pays, après l’émergence et l’hégémonie des hydrocarbures dans le système économique, a achevé le peu de valeurs qui restaient. Au regard de ces différentes contraintes qui se sont mises sur le chemin de la société l’empêchant d’évoluer en tant qu’acteur émancipé autonome, supposé être, à terme, le vivier de la production et de la reproduction de la société politique, lui fournissant idées et personnel.
Les préalables de la « démocratie participative »
Afin de conférer au concept quasi exotique de « société civile », un sens ancré dans la réalité quotidienne, presque aucune institution ou instance n’a joué le rôle qui lui est dévolu. À l’école, les matières en relation avec le sujet (éducation civique, histoire, géographie) sont mal prises en charge sur le plan pédagogique, si bien qu’elles sont les moins bien classées dans l’ordre des préoccupations des élèves. En appelant à la concrétisation de ce qui est appelé la « démocratie participative » au niveau local, le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales est pourtant censé connaître le déficit de cohésion et d’intimité qui existe entre les électeurs et les élus. Les preuves sont là elles se font voir chaque jour. Sièges de mairie fermés, routes barricadées, émeutes quasi quotidiennes pour des questions liées à la distribution de logement social, à la médiocrité des infrastructures et au recul de la qualité du cadre de vie. Autrement dit, le « contrat social » entre les citoyens-électeurs et leurs représentants souffre de mille malentendus. Il s’ensuit que la démocratie participative, qui impliquerait des comités de quartiers et de villages dans la gestion des affaires de la collectivité- par le moyen de la consultation et de la concertation- risque de demeurer une simple profession de foi si les assemblées communales, elles-mêmes, demeurent prisonnières de schémas d’organisation éculés, où l’administration (par le biais du chef de daïra et du wali) garde toujours son ascendant sur la structure élue, et où la décentralisation demeure un vain mot.
Amar Naït Messaoud

