Cherif Kheddam, un Maestro bien de chez-nous !

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Quatre années sont, déjà passées depuis le décès du Maestro Cherif Kheddam. Ce monument de la chanson algérienne d’expression kabyle nous a quittés le 23 janvier 2012, à l’âge de 85 ans. Il a été inhumé en son village natal, Boumessaoud (Michelet, W.Tizi Ouzou), le 27 janvier de la même année. C’était une journée froide et triste, où la neige tapissait les sommets et les flancs des majestueuses chaînes montagneuses du Djurdjura comme pour l’emmitoufler, à jamais, dans son « burnous » immaculé! Dda Cherif était l’un des sommets de l’art. Un maestro qui a appris, par la seule force de la volonté et son amour pour la musique, le solfège, alors qu’il travaillait en parallèle dans une fonderie à Paris, en France. Natif du village de Boumessaoud, le 1e janvier 1927, il a vécu une enfance dans des conditions difficiles, à l’instar de ses congénères. Il fréquenta, dans les années 1930, la zaouia de cheikh Oubelkacem de Boudjellil (Béjaïa). En 1942, il y termine ses études. Ensuite, il débarque à Alger pour exercer quelques métiers. Cinq ans plus tard, soit en 1947, Dda Cherif quitte le pays pour tenter sa chance en France, où il travaillera, par la suite, dans une fonderie, puis dans une entreprise de peinture. C’est durant cette période que notre maestro apprendra le solfège, et la maîtrise de plusieurs instruments de musique, dont le luth qui ne le quittera jamais. Il découvre, dans la foulée, la musique classique et orientale dont il s’en imprégnera. Il adoptera, d’ailleurs, ces deux styles de musique pour toutes ses œuvres artistiques magistrales! La première chanson qu’il produira s’intitulait Yellis n t’murt-iw (La fille de mon pays). Cette belle chanson lui vaudra la consécration. Son premier 78 tours fut un énorme succès déjà. Il fut même diffusé par l’ex RTF (Radio télévision Française) dans les années 1950. Ce succès lui a valu la signature d’un contrat avec le producteur géant de l’époque Pathé Marconi, et ce, en 1956.

Dda Cherif, un révélateur de talents

Ce sésame ouvrira à Dda Cherif les portes d’une carrière artistique époustouflante, et surtout riche en production. À partir de 1958, il enregistrera d’autres chansons cultes, qui seront adoptées, écoutées et chantée telles des hymnes par des générations et des générations d’auditeurs inconditionnels, assoiffés de travail musical de haute facture. Ainsi, Dda Cherif enregistra des merveilles comme « Nadia », « Djurdjura », « Lemri », «Bgayet telha», «Tilawin», «A tin yuren» et bien d’autres chansons indémodables. L’artiste chantait l’exil, l’amour, l’indépendance du pays, la femme, les déboires et bien d’autres thèmes. Auréolé de ses succès fulgurants, notre artiste sera sollicité pour composer des pièces pour Radio Paris, puis l’ORTF. En 1963, ses pièces ont été également jouées dans l’Opéra comique de Paris. C’est dire toute l’aura et le prestige que Dda Cherif avait réussi à créer autour de sa personne, en exil en plus, tout en restant modeste. C’était un symphoniste de talent. Le Beethoven Algérien. Après l’indépendance, Dda Cherif retourne dans le pays, où il exercera comme animateur à la chaîne II. Et c’est là que notre maestro révèlera des chanteurs de talent dans son émission culte, qui s’intitulait « Icennayen uzekka » (Les chanteurs de demain). En artiste généreux et toujours prêt à aider son prochain, il n’a pas gardé pour lui, uniquement, son génie musical et sa création prolifique, mais il a été aussi, une école qui a produit la crème de la chanson Algérienne moderne d’expression kabyle. Ce monstre sacré indéniable a été derrière la révélation de ce qui sera plus tard les monuments de la chanson algérienne moderne, car il avait encadré encouragé et propulsé au devant de la scène des dizaines de jeunes chanteurs, qui avaient le désir d’apporter, chacun d’entre eux, leur pierre à l’édifice de la chanson kabyle. Parmi ces artistes, on trouve: Idir, Ferhat, Aït Menguellet, Ahcène Abassi, Nouara, Malika Domrane, Djamel Allam et bien d’autres stars. Durant son passage à la radio, il n’a cessé de prodiguer des conseils aux jeunes artistes, en les aidant de son mieux, comme l’ont témoigné nombre d’entre eux, avec beaucoup de gratitude. C’était un vrai révélateur de talents.

Des duos pleins de passion avec la diva Nouara!

Cependant, s’il y a un artiste qui a accompagné longtemps Cherif Kheddam c’était bel et bien la Diva Nouara, avec qui il réalisa des duos mémorables, à l’instar des chansons « Muqrit » (nous sommes âgés), Fahmet a medden (écoutez-nous… !), Nemfaraq (nous nous sommes séparés), Anef ad dṛeƔ deg umenni (Tant pis, je continue à espérer…) et bien d’autres merveilles. Dda Cherif a écrit et composé aussi, des chansons pour Nouara qu’elle avait interprétées magistralement avec sa voix douce et cristalline. Toutefois, malgré le fait que Cherif Kheddam ne produisait presque plus d’albums à partir des années 1990, il n’avait pas, pour autant, quitté la scène. Cela ne l’a pas empêché de composer «Lezzayer n’challah at hlud» (L’Algérie retrouvera la paix !) qui était un véritable hymne patriotique de Dda Cherif. En 1996 et pour son 40e anniversaire de carrière artistique, Dda Cherif a organisé un concert mémorable au Palais des congrès de Paris, où des milliers de ses fans, en délires, reprenaient en chœurs toutes ses chansons. Le 1er novembre 2005, en célébration du 43e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale, il remet ça, en animant une soirée musicale impériale à la coupole du 5 juillet, à Alger. Le lendemain, toute la presse titrait en Une ce grand événement, où elle n’a pas tari d’éloge à l’égard de ce maestro bien de chez-nous. Néanmoins, malgré son âge avancé et surtout sa maladie, Dda Cherif n’a pas quitté le monde de la musique. Il composa à de nombreux jeunes chanteurs, tout en prodiguant de précieux conseils à d’autres de part son expérience dans ce monde de « El fen » comme chantait-il. Il était comme cette source d’eau douce intarissable, où tout le monde pouvait boire sans qu’il ne rechigne! Généreux envers les autres et affectueux, Dda Cherif l’était jusqu’à son dernier souffle. Il s’est éteint comme une bougie en ce jour du 23 janvier 2012, en France, pour illuminer comme un astre le firmament de la chanson algérienne d’expression kabyle. Repose en paix Dda Cherif!

Syphax Y.

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