Si jusqu'à la septième édition, le prix " Matoub Lounès, contre l'oubli",; initié par l'association Amgud et la Fondation Matoub Lounès, était décerné le 25 juin, pour la deuxième fois, il vient d'être remis à l'occasion de l’anniversaire de la naissance du rebelle.
Et c’est ainsi qu’hier, la salle de l’APC de Draâ El-Mizan fut trop exiguë pour contenir l’assistance nombreuse venue assister à la remise de ce prix aux représentants des familles des trois icônes choisies, à savoir Kateb Yacine, M’Hamed Issiakhem et Ali Zamoum. Dans la salle, on a remarqué la présence de la sœur de Kateb Yacine, Fadhela, la veuve de Dda Ali Zamoum, Nna Ouiza, et le neveu d’Issiakhem, Yacine, en plus de plusieurs artistes tels Rabah Ouferfat et des amis de Lounès Matoub. En tout cas, un public nombreux.
Il aurait eu 60 ans, ce 24 janvier
C’est demain l’anniversaire de la naissance de Lounès Matoub. Il est né le 24 janvier 1956. N’étaient-ce « les ennemis de la vie » comme l’avait si bien chanté le Rebelle, il serait aujourd’hui parmi nous. Mais, c’est aussi le destin. Il est mort laissant derrière lui une Kabylie et une Algérie qui se cherchent. Justement, pour ce 60° anniversaire de sa naissance, de nombreuses activités sont annoncées ici et là. Sa sœur Malika a annoncé une conférence de presse, une waâda, une pièce de théâtre et beaucoup d’autres activités. D’ailleurs, la première a eu lieu hier à Draâ El-Mizan, où la présidente de la FML est revenue sur le parcours artistique et politico-culturel de son défunt frère.
D’emblée, Hamid Derradj, de l’association Amgud, est revenu sur cette cérémonie dédiée aux trois personnalités précitées. Pour lui, aussi bien Matoub que Kateb Yacine, M’Hamed Issiakhem et Ali Zamoum avaient tous milité pour une Algérie prospère, démocratique et plurielle avec toute sa diversité culturelle et linguistique. En somme, l’Algérie où se reconnaîtront tous les Algériens. Il a insisté sur le fait que cette contribution était infime si on la comparaissait à ces grands hommes qui ont payé de leur vie l’émancipation de notre pays. Après une minute de silence à la mémoire de ces personnalités et de tous les martyrs qui se sont sacrifiés pour l’Algérie, la parole a été cédée à Malika Matoub.
Le parcours artistique et politico-culturel de Lounès Matoub
«Notre choix, cette fois-ci, pour ces trois personnalités, a été fait parce qu’elles ont un dénominateur commun. Ce sont de grands hommes qui ont fait l’Histoire de ce pays. Il s’agit de Kateb Yacine, de M’Hamed Issiakhem et de Dda Ali Zamoum», dira Malika Matoub pour justifier le choix des destinataires de ce 9° prix » Lounès Matoub, contre l’oubli ». Elle avouera qu’après l’assassinat de son frère, Ali Zamoum a beaucoup travaillé avec la famille pour créer la Fondation. «Il faut que vous sachiez que Dda Ali est le rédacteur du préambule de la Fondation. Nous lui sommes reconnaissants», fera-t-elle savoir à l’assistance. Sans aucune autre transition, Malika Matoub abordera le long combat du barde assassiné depuis le début des années 70 jusqu’à son lâche assassinat, le 25 juin 1998, alors qu’il n’avait que 42 ans et qu’il avait encore besoin de beaucoup de temps pour continuer ce qu’il venait d’entreprendre. La conférencière reviendra sur l’épreuve douloureuse vécue par son frère après avoir été criblé de balles en octobre 1988 à Aïn El Hammam par les gendarmes. «Personne n’a dénoncé cet acte. A l’exception de l’association des travailleurs et de la culture dans un tract. Sinon, aucun article de presse, aucun parti, aucune organisation ne l’ont évoqué. Il a traversé une période critique mais il a tenu le coup parce qu’il savait qu’il était engagé dans une voie pour la démocratie, pour l’identité amazighe et pour les droits de l’Homme», poursuivra l’hôte de Draâ El-Mizan. Malika Matoub dira à l’assistance que son frère disait lui même qu’il était le témoin de son temps. D’ailleurs, révélera-t-elle, il avait défendu par exemple les fils de chahid arrêtés par le pouvoir en 1986 alors que personne ne levait le petit doigt. «Il ne se taisait devant aucune injustice. C’était un défenseur des opprimés», insistera-t-elle. Elle enjoindra à ses dires des chansons tirées du répertoire du rebelle qui démontrent bel et bien ses engagements tenus publiquement. Dans une de ces chansons, dira-t-elle, il avait prévenu contre les prémices d’un Algérie qui sera vouée aussi bien à l’arabisation à outrance qu’à l’islamisation, citant l’exemple du passage du week end « samedi-dimanche à jeudi-vendredi ». Elle ajoutera que Matoub Lounès ne cherchait que son ‘’algérianité’’ avec toutes ses composantes comme dans ce titre où il préviendra que nous ne sommes ni des orientalistes ni encore moins des occidentalistes. C’est-à-dire, expliquera-t-elle, il faudrait se suffire tout d’abord à recouvrer notre Algérie confisquée à l’indépendance, avant de s’ouvrir sur d’autres cultures. La présidente de la FML clamera devant le public que le barde assassiné espérait une Algérie comme l’avaient souhaitée Ali Zamoum, Kateb Yacine, M’Hamed Issiakhem, Abane Ramdane et les autres et non une Algérie telle qu’elle était et l’est encore.
Matoub Lounès et le terrorisme
Avec l’avènement du terrorisme, dira-t-elle, son frère était aux côtés de démocrates parce qu’il savait que le champ était préparé pour un fascisme d’un autre temps. Mais, signifiera-t-elle, il n’a jamais défendu tel ou tel parti. «Il disait qu’un parti politique était trop petit pour lui. Son combat était plus large», ajoutera-t-elle. «Mon frère a rendu des hommages à Tahar Djaout avec son titre phare » ô Kenza ma fille, ne pleure pas », à Mohamed Boudiaf et à bien d’autres. Dans son livre » Le Rebelle », écrit juste après avoir été relâché par ses ravisseurs en septembre 1994, il avait bien conté ses dix nuits sombres passées dans les maquis », soulignera-t-elle. Malika ajoutera qu’il était menacé mais qu’il ne voulait pas abandonner ses idéaux et ses idées. «C’était un démocrate convaincu et épris de justice et des droits de l’homme», insistera-t-elle. La conférencière reviendra ensuite sur l’hommage rendu aux femmes à travers la chanson composée pour sa mère à savoir « Tighri Gmma » (La complainte de ma mère). Malika Matoub a retracé non seulement le parcours artistique de Lounès, mais toutes ses positions quand il s’agissait de défendre toutes les causes justes et celles des opprimés renvoyant l’assistance, à chaque fois, à ses textes et à ses poèmes. Elle conclura que si Lounès fut assassiné c’était parce qu’il dérangeait et qu’on voulait faire taire une voix populaire dont tout le monde savait qu’elle s’adressait à tous les Algériens et parce que ses chansons éveillent les consciences sur ce qui les entoure.
à quand le procès de Lounès?
Tout d’abord, je vous répondrai qu’au jour d’aujourd’hui, le procès de Matoub Lounès n’a pas eu lieu et qu’en 2011, il y a eu une parodie de procès. Le président du tribunal de Tizi-Ouzou lui-même avait reconnu que le procès de ce jour-là n’était que celui des deux présumés assassins. D’ailleurs, annoncera-t-elle devant le public avide de nouveaux éléments sur cette affaire, le nom de son frère n’a été évoqué par personne : «Nous ne demandons qu’une chose, dix-huit ans après l’assassinat de Lounès, que la procédure soit recommencée dès le début. Il faudra une reconstitution des faits, une autre enquête, une étude balistique et entendre la liste des 55 témoins que j’ai remise à la justice parce que des noms d’hommes politiques y figurent et ils pourront rapporter des faits importants. Mais, je ne peux pas oublier de vous dire que durant toute cette période ma famille a tellement souffert. En plus des procès à notre encontre, il y a eu des paroles blessantes. Ma mère a été traitée de mère porteuse, de mère biologique et de dévoreuse d’os. C’était vraiment pénible pour une mère qui a perdu son fils unique. Mais, je suis sûre qu’un jour la vérité éclatera au grand jour», terminera Malika. Son intervention fut suivie de plusieurs questions, notamment par rapport à l’article 3Bis de l’avant-projet de la révision de la constitution « tamazight langue nationale », les caractères à adopter pour sa transcription. Au terme de cette demi-journée pleine de témoignages et autres interventions, comme de coutume, les représentants des trois personnalités retenues pour cette 9° édition ont été appelés à recevoir cette distinction ô combien significative sous des applaudissements nourris, notamment lorsque Fadhela Kateb évoqua son frère Yacine, condamné à mort à l’âge de 15 ans, après les événements du 8 mai 1945 à Sétif ou encore Nna Louiza revenant sur les confidences que lui faisait son défunt mari sur la guerre de libération nationale ou encore sur ce qu’a dit le jeune Yacine, neveu de M’Hamed Issiakhem. «Nous sommes très contents d’avoir encore une fois honoré la mémoire de Lounès Matoub en rassemblant tant de monde dans cette salle. Nous remercions les familles de ces trois personnalités qui nous ont honorés par leur présence et sans oublier Malika Matoub pour nous avoir éclairés sur le parcours de son frère. Rendez-vous est pris pour l’année prochaine pour sa dixième édition», nous déclarera Karim Larbi en sa qualité de président d’Amgud.
Amar Ouramdane