Les chaînons manquants

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Après plus d’un demi-siècle d’indépendance, l’Algérie aura accumulé des expériences de maturation sociale et de luttes politiques qui permettent à la jeunesse d’aujourd’hui de se poser des questions majeures et pertinentes sur la gestion des affaires publiques, la représentativité politique, l’accès aux bienfaits du développement, de la culture et des progrès technologiques… etc. Le projet de la nouvelle Constitution prend en charge une grande partie de ces questionnements. Il ne peut en être autrement, sachant que l’idée première de la révision constitutionnelle remonte au 15 avril 2011, lancée par le Président Bouteflika au cours d’un discours consacré presque exclusivement au projet de réformes politiques. L’occasion s’y prêtait bien, pour ne pas dire que le sujet s’est imposé de lui-même, sachant que le Printemps arabe battait son plein, avec la fuite du Président Benali deux mois auparavant, chassé par la rue tunisienne. Autrement dit, le contexte régional tendu dans lequel était annoncée la Constitution ne pouvait que déteindre puissamment sur le contenu de la révision constitutionnelle, d’autant plus que l’Algérie commençait, en ce moment-là à ressentir des échos menaçants de ce capharnaüm des révoltes arabes. Les émeutes de la première semaine de janvier 2011, appelées « émeutes de l’huile et du sucre », où l’on enregistra cinq morts, en sont la manifestation probante, suivie des protestations politiques de rue, programmées pour chaque samedi. Si le projet de la nouvelle Constitution a abordé la majorité des thématiques qui préoccupent la classe politique et la société civile, sans nécessairement que ces dernières en soient complètement satisfaites, un sujet fondamental, soulevé depuis longtemps par les populations, les élus, la société civile, les partis politiques et même des responsables officiels, semble ne pas bénéficier de toute l’attention voulue par la nouvelle mouture de la Constitution. Il s’agit du processus de décentralisation, que notre journal a abordé sous toutes ses coutures pendant plus d’une dizaine d’années. On ne peut quand même pas passer sous silence le besoin de libération des énergies et des initiatives qui émergent au sein de la société et particulièrement de la jeunesse d’aujourd’hui qui commence à accéder aux postes de responsabilité. Dans les missions quotidiennes des responsables administratifs et des élus, des difficultés insurmontables surgissent dès qu’il s’agit de prendre des décisions face à des problèmes spécifiques locaux. La plupart des textes législatifs algériens ne réservent qu’une mince marge de manœuvre aux responsables locaux ou aux collectivités territoriales de gérer les affaires locales, selon la spécificité de la région. Spécificité sur le plan écologique, géographique, humaine, sociologique,… etc. La culture du parti unique, qui a développé un « uniformisme » de mauvais aloi dans tous les domaines de la vie, a vécu. Elle ne peut plus prendre en charge la diversité algérienne dans toutes les facettes qui sont celles d’un grand pays, long et large, très diversifié sur le plan naturel et ayant des difficultés et des besoins qui différent selon les régions. En traduisant ces besoins de décentralisation, de façon précipitée, comme une simple opération d’un nouveau découpage administratif, on fait une grosse erreur d’analyse et de jugement. La décentralisation va bien au-delà de la création de nouvelles wilayas (ou wilayas-déléguées), opération qui se contente de faire passer le crayon sur une carte d’État-major pour tracer de nouvelles limites. Tant que l’on n’aura pas réaménagé profondément le mode de gestion des affaires publiques, que l’on n’aura pas délégué des pouvoirs exorbitants trop centralisés à des instances qui irradient les fractions du territoire, que l’on n’au pas revu de fond en comble le processus de prise de décision dans un schéma d’organisation autre que la pyramide actuelle, figée dans son arrogance, rien de substantiel ne pourra venir d’une simple « opération chirurgicale » sur la carte administrative. Peut-on, en outre, se permettre de faire des revendications de certaines formations politiques qui appellent depuis longtemps à des processus de régionalisation, de fédéralisation ou d’autres formes d’organisation institutionnelle qui restent à débattre et à mettre sur la table de discussion. Le texte de la nouvelle Constitution a repris à peu près ce qui existe dans les anciennes versions. Dans son article 8, il est dit que  » le peuple se donne des institutions ayant pour finalité [entre autres], l’élimination des disparités régionales dans le développement ». Dans son article 15, le projet de la nouvelle Constitution dispose : « Les collectivités territoriales de l’Etat sont la Commune et la Wilaya. La Commune est la collectivité de base ». Ajoutant, par le biais de l’article 16 que « l’Assemblée élue constitue l’assise de la décentralisation et le lieu de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques ». Les assises sur le développement locales, organisées en 2011 par le Conseil national économique et social (Cnes), ont montré que la réalité du terrain est plus complexe et que les initiatives locales ne peuvent être libérées que par un processus de décentralisation sérieusement réfléchi. Il en est de même de la commission des réformes de l’Etat et de ses missions, instituée par le président de la République en 2002. Elle a conclu à la nécessité des réformes profondes de l’Etat afin de faire participer les populations et la société civile au processus de prise de décision et de la gestion des affaires publiques.

Du fait que le sujet de la décentralisation soit devenu, au cours de ces dernières années, l’ « affaire » exclusive du ministère de l’Intérieur, il a perdu un peu de sa pertinence, sachant que, en réalité il touche tous les secteurs et fait partie des fondements même de l’Etat.

Amar Naït Messaoud

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