Au déclenchement même de la révolution, Ssi Lhafidh Yaha fut l’un des plus jeunes Moudjahidin de la région de Kabylie. Il gravi vite des échelons pour devenir officier de l’ALN. Il était très proche du colonel Chikh Amar qui mourût lors d’une bataille, alors qu’il rejoignait le congrès de la Soummam tenu le 20 août 1956. C’est Ssi Lhafidh qui escortera dans son secteur le chef incontesté du FLN en la personne d’Abane Ramdane, en partance vers Ifri, lieu où se tiendra le congrès. Les exploits du combattant émérite étaient légendaires tellement le courage débordait sur son engagement. Il ira jusqu’à «dévaliser» en armes tout un camp de l’armée française dans la région des Ouadhias, pourtant fortement bien gardé. Parler de Ssi Lhafidh, c’est aussi citer les membres de sa famille tous engagés dans la lutte armée. En effet, son père également Moudjahid fut un baroudeur exceptionnel. Il sera brulé vif dans son abri par des lance-flammes utilisés par le détachement militaire français, qui n’arrivait pas à l’y débusquer après plus de douze heures de résistance. Sa mère, Nna Jedjiga, dont la maison servait de refuge aux combattants à At Atsou à Ait Illilten, administrativement rattachée à l’actuelle commune d’Iferhounène, serra arrêtée et torturée. Les paras la feront défiler dans la principale rue de l’ex-Michelet pour l’obliger à dénoncer les commerçants pourvoyeurs de fonds du FLN combattant. Elle était la collectrice de ces fonds. Tous avaient peur, mais Nna Jedjiga lancera courageusement en kabyle et à plusieurs reprises le long de la rue pour les rassurer : «N’ayez pas peur mes frères, je vais en voyage à la Mecque». Les paras s’acharnaient sur elle en lui arrachant des touffes de cheveux jusqu’au cuir-chevelu. Les sœurs de Ssi Lhafidh et son épouse Nna Nouara seront toutes arrêtées et également torturées. Ainsi, c’est toute la famille Yaha qui s’engagera d’une manière exemplaire dans la lutte armée. À l’indépendance et en 1963, il sera co-fondateur du FFS avec Aït Ahmed et lèveront avec Ssi Mouhand Oulhadj une armée pour contester le régime totalitaire de Ben Bella et tenter de rétablir la démocratie et le pluralisme politique dans un pays à peine sortie d’un lourd tribut durant la guerre de libération nationale. Ainsi, Ssi Lhafidh voua sa vie entière à l’Algérie combattante et à l’Algérie indépendante car, hélas, détournée par une junte militaire qui installera la dictature. Il sera l’un des négociateurs du FFS en 1965 avec le régime de Boumédiene. Mais aguerri aux fluctuations politiques qui mènent à l’élimination physique des opposants, Ssi Lhafidh deviendra un réfugié politique établi en France jusqu’à son retour triomphale en 1989, après l’ouverture politique induite par les événements du 5 octobre 1988. Nous garderons de Ssi Lhafidh le souvenir et l’image d’un homme taillé dans une sincérité particulière, car il était un homme particulier et estimé de tous. Il n’est plus parmi nous aujourd’hui, mais il a laissé des témoignages poignants à travers ses livres mémoires dont devraient s’inspirer bien des historiens.
Abdennour Abdesselam