La culture kabyle par les chemins de la traduction

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Lorsque le sens et l’esthétique s’accordent fort bien avec le respect des formes, cela devient un luxe qu’il importe de savourer. Dans ‘’Poèmes kabyles anciens’’, Mouloud Mammeri a fait d’immenses efforts pour allier les deux versants d’un même produit. Dire de Mammeri qu’il a fait des efforts extraordinaires pour réussir un tel pari c’est peut-être lui faire quelque part offense sachant que chez lui- et toute son œuvre littéraire en témoigne- la poésie coule de source. Exemple de poème traduit dans ce livre : »Peut-être est-ce malédiction paternelleQue mon lot soit malédiction nocturneVienne la nuit tousDorment en paixBien ou mal couvertsFors moi à qui les pensées pèsent À n’en pouvoir mais ! ».Un autre exemple de Si Saïd Boulifa qui a pris un peu plus de liberté avec les vers traduits dans le but de faire prévaloir une prosodie très proche, par ses rythmes, ses périodes et son jeu de rime, avec le texte source : »- Que Dieu maudisse la mortQui nous frappe à tortSans se soucier des victimes.-La faux puissante du sortS’acharne d’abordSur ceux qui ont notre estime.- Mon amie, une fleur d’or,S’épanouit encore,Elle est jetée dans l’abîme”.Dans le sillage de Mammeri et Feraoun (ce dernier a aussi traduit Si Mohand), une certaine tradition semble s’établir dans ce domaine. Des travaux de grande importance ont été réalisés au cours des deux dernières décennies par Tassadit Yacine (traduction des “Izlan”, poèmes d’amour souvent anonymes, traduction de la poésie de Kaci Udifellah, auteur des “At Sidi Braham dans les Binans”, Youcef Nacib “Diverses poésies anciennes et proverbes de Kabylie”, Younès Adli “Poésies de Si Mohand” et d’autres chercheurs moins médiatisés.Le progrès enregistré dans la prise en charge du patrimoine culturel berbère a fait de tels bonds au cours de ces dernières années qu’une autre tendance- un autre segment important aussi- commence à s’affirmer : la traduction d’œuvres francophones (d’auteurs kabyles et même occidentaux) en kabyle. ‘’Le Fils du pauvre’’, ‘’La Colline oubliée’’, ‘’Les Fables’’ de La Fontaine, et d’autres tentatives plus ou moins réussies meublent déjà la bibliothèque kabyle naissante. Dans ce domaine précis, Mohia, en traduisant ou adaptant des œuvres prestigieuses du patrimoine mondial (poésie, théâtre), peut être considéré comme le précurseur le plus accompli.Un autre segment de la culture bénéficie depuis quelque temps de l’intérêt de traducteurs amateurs ou professionnels. Il s’agit de la chanson à texte. En effet, ce n’est que justice que la sagesse et les nostalgies de Simane Azem, les épopées et la philosophie d’Aït Menguellet, le lyrisme révolutionnaire de Matoub et le romantisme de Chérif Kheddam soient traduits et connus du reste du public non kabylophone. Partant de ce diagnostic, des chercheurs et autres passionnés du sujet ont produit des travaux qui, tout en demeurant perfectibles, ouvrent la voie à un véritable travail de fond. Une remarque importante s’impose dans le domaine de la traduction littéraire laquelle, en Kabylie, s’étale sur plus d’un demi-siècle : la langue dans laquelle sont traduits le patrimoine oral ou d’autres travaux produits en kabyle est presque toujours le français. Très peu de traductions ont eu lieu en arabe. Cela s’explique bien sûr par la formation des auteurs des traductions, mais aussi par le souci de diffuser le produit dans l’une des langues les plus répandues dans le monde et qui a toujours sa place dans le paysage culturel algérien. Ces dernières années, l’université algérienne a pris le relais pour faire soutenir des mémoires et des thèses sur les œuvres de certains chanteurs kabyles dont la valeur et la densité littéraire sont prouvées.Le travail de traduction- malgré les avancées enregistrées par l’enseignement du berbère- demeurera en Kabylie une activité toujours florissante. En raison même de ces progrès, la traduction sera appelée de plus en plus à jouer un rôle important pour enrichir davantage le domaine culturel, pédagogique et didactique de Tamazight.

A. N. M.

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