«Le Chahid a dit», une opérette aux accents sublimes

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Comme toute œuvre d’art appartenant au registre tragique, la pièce présentée avant-hier après-midi à la salle Errich, à l’occasion des festivités marquant la Journée du chahid, avait ému jusqu’aux larmes. Puisant dans la thématique révolutionnaire, elle raconte la vie d’un jeune algérien qu’exacerbaient, que révoltaient les injustices du système colonial français. Finalement, il décidait de monter au maquis pour lutter contre ce joug. Il y mourrait en héros. Cette représentation, d’une heure, nous a-t-il semblé possède une autre particularité : elle appartient au genre opérette. En ce sens, elle fait appel au chant, à la danse et à la parole. La salle archicomble (même ‘’le balcon’’ était bondé) découvrait ainsi un genre nouveau : l’opérette. Celle-ci s’ouvre sur une scène de tous les jours. Les gens vaquent à leurs affaires, celles misérables que daigne leur laisser le colon ou tuent le temps dans les cafés. Le ballet mené par un groupe de jeunes filles dit la misère, l’effort injustement récompensé la révolte qui couve. Dans un coin, un groupe de femmes se tient immobile. Sur un plateau, deux filles enchaînées et un jeune en burnous et barbe noire chantent. La musique est belle, les voix sont suaves, les figures chorégraphiques sont magnifiques. Et pourtant, le cœur se serre à la vue de cette scène, une tristesse infinie et poignante en émane. Le peuple vit mal cette confiscation des libertés, ces inégalités sociales qui s’accompagnent de répression à chaque contestation. Le passage à tabac d’un adolescent par un groupe de policiers sert de détonateur. Les hommes brutalisés dans les cafés ou dans les rues, les femmes sur le seuil de leurs maisons se soulèvent et expriment ouvertement leur mécontentement, leur colère. Le mouvement s’enfle, prend de l’ampleur. Trois personnages l’incarnent. Ils remplacent le ballet. Le plus jeune chante. «Père, le feu brûle mes entrailles». Le plus âgé répond : «Mon fils (ce sont) les années de braises». Le chœur sur le plateau : «Mon fils partira en guerre». Le père : «Meurs en martyr, mon fils.» Le chœur : «Meurs en martyrs». À la scène suivante, deux personnages apparaissent : le fils qui chantait dans la précédente et celui qui était resté muet. Le fils est en proie à une lutte intérieure. «Si je meurs en chahid, j’ai peur que ma mère ne pleure». Le chœur répond : «Meurs en martyr». Le fils, une cartouchière autour de la taille mais sans fusil : «Je suis seul. Je n’ai que mes larmes». Le chœur : «Avance». Le jeune a enfin ce qu’il cherche : «J’ai avec moi maintenant un fusil. Je peux». Une scène plus loin, le chœur répond encore comme un écho : «La Terre est à toi. L’arbre est à toi. Les montagnes t’écoutent. Nous te suivrons». Et puis vient cette scène où l’on ne voit que les moudjahidines. Le ballet exécute des figures martiales. Le chœur martèle : meurs en héros, meurs en martyr, la France s’en va». Le jeune à la cartouchière arrive de nuit sur un champ de bataille. La scène s’éclaire et deux femmes, l’enfant battu et le père font leur entrée. Ce dernier lança: «Il a choisi le chemin de la gloire». Plus loin : «Il est debout dans sa tombe. Il ne s’incline pas. C’est un martyr». La mère chante, puis pleure en recevant les effets couverts de sang du jeune martyr. Calmée, elle tire de son corset un petit drapeau et l’agite au-dessus de sa tête. Son geste est salué par une salve de youyous. Le ballet de jeunes filles revient et reprend possession de l’espace scénique avec toute la grâce et la fluidité des mouvements qui le caractérisent. Il arbore différents costumes traditionnels et exécute différentes danses pour marquer sans doute la diversité culturelle. (La robe kabyle, arabe, chaouie,&hellip,; ainsi que les danses). Puis le ballet devient mixte sous un ciel aux couleurs nationales (un grand drapeau en fait. Les hommes ont chacun un drapeau qu’ils brandissent. La salle applaudit à tout rompre. Cette danse évoque les joies qui ont marqué notre indépendance et la fraternité née de leur partage. Le ballet a cinquante ans, expliquait Mohamed Adjaïmi, qui a joué avec brio le rôle du père dans «Le chahid a dit». La musique est du défunt Mohamed Boulifa, remplacé cet après-midi par Nouredine Tayeb. Le texte est de Azedine Mihoubi, l’actuel ministre de la Culture, et le metteur en scène Mohamed Adjaïmi qui a savouré cet accueil triomphal amplement mérité. Une personne mérite d’être saluée à part, il s’agit de Djalila Youcef, la mère du chahid dans la pièce. Elle tient ce rôle depuis la création de cette œuvre en 1992. Non seulement son interprétation est brillante, mais sa voix est sublime. Les deux fois où elle l’a fait sur scène, elle a plongé la salle dans un profond ravissement. Cette oranaise qui a quitté sa ville natale pour Mascara est au théâtre radiophonique de l’office nationale de radio algérienne où elle brille par son talent.

Aziz Bey

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