Diversion et nouveaux Torquemada

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Avec les caricatures relatives au Prophète de l’Islam publiées par un journal danois et reproduites quelques jours plus tard par d’autres quotidiens européens, le monde occidental n’est-il pas parvenu à une forme de diversion dont il ne soupçonnait sans doute pas l’ampleur de la réussite ? Souvent mus par une stratégie délibérée de noyer les vrais problèmes qui constituent des enjeux planétaires, par esprit de provocation parfois, ceux qui tiennent les rênes de l’économie mondiale, faute de pouvoir reproduire les schémas coloniaux du 19e siècle, aujourd’hui dépassés, ont réussi le pari de pousser les anciens peuples colonisés vers des replis identitaires ravageurs qui leur font confondre l’essentiel avec le subsidiaire. Ce dernier, pour les peuples de l’aire culturelle arabo-musulmane, est basé sur la symbolique religieuse prise comme fibre sensible de populations écrasées par des dictatures moyenâgeuses. Dans le sillage des tentatives-malheureusement réussies- de bouter hors du champ politique toutes les forces de progrès et de modernités, la fulgurante victoire du Hamas palestinien aux dernières élection parlementaires dans ce pays occupé doit beaucoup au chauvinisme et à l’entêtement d’Israël qui, par un patient travail de sape, a fini par créer un vide inquiétant sur la scène politique palestinienne pour laisser le monopole de la représentation à un mouvement extrémiste de façon à pouvoir justifier la fermeté, voire la répression, que ne manquera pas de faire régner le successeur de Sharon. Il apparaît aujourd’hui établi que, dans un monde de plus en plus unipolaire où la recherche effrénée des matières premières- et particulièrement de la première d’entre-elles, à savoir l’énergie- trace des cartes géostratégiques qui ne tiennent aucunement compte de l’intérêt des peuples qui en sont propriétaires, toutes formes de provocations jouant sur la fibre sensible de ces peuples et pouvant créer la diversion sont les bienvenues pour les tenants des clefs du nouveau système mondial. C’est là une forme d’aliénation qui magnifie l’ombre, dissimule la proie et fabrique pour nous les Torquemada de tous bords.Si les médias occidentaux en sont arrivés à se délecter d’un exercice satirique- qui, dans d’autres circonstances aurait pu être banal-, c’est qu’ils sont conscients qu’une grande partie des peuples musulmans sont acculés par leurs propres gouvernants et par la nouvelle reconfiguration de la stratégie mondiale à jouer les figurants dans une pièce écrite et mise en scène par des forces qui leur échappent entièrement. Les replis identitaires et le communautarisme éculé sont les terrain fertiles à toute sorte de manipulation et d’inoculation de la culture de l’extrémisme.“Tout se passe comme si une société qui sent qu’elle n’a plus prise sur l’histoire interprète ses propres blocages en terme de destin. Dans une espèce de réaction masochisite, elle tourne contre elle-même la conscience irritée de son impuissance, attribue ses échecs ou ses manques à une application insuffisamment stricte des rites, et faute de pouvoir agir sur les événements, bat sa coulpe et exige d’elle-même encore plus de tension absurde ou de crispation sclérosante. Elle a renoncé aux affres du doute, aux risques de la quête (et donc à ses chances), pour le monolithisme d’une foi qui confond la pureté de l’intention avec la rigidité de la pratique” (M. Mammeri).Jusqu’à quand la culture musulmane continuera-t-elle à privilégier les réactions épidermiques au détriment d’une réflexion de fond qui puisse la hisser au niveau des grands défis du 21e siècle ? “Les outils de la réflexion évoluent constamment comme les outils du chirurgien” (dixit l’islamologue Mohamed Arkoun).

Amar Naït Messaoud

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