Moh Saïd Oubelaïd était un artiste, un militant de la cause nationale et un homme tout simplement qui a connu le succès, les prisons et les galères les plus insondables au crépuscule de sa vie.
À Tizi-Ouzou, alors qu’il ne lui restait qu’une poignée de mois à vivre, il transportait sa guitare et sa panade d’hôtel en hôtel, de ga3da en sahra entre copains, batifolant de sa voix exquise entre nouba hsine. Il faut lui reconnaître ses talents de snay3i hors pair, et chansons de son cru qui ont bercé tant de générations. Moh Saïd Oubelaïd, de son vrai nom, Larbi Mohand Saïd, Auteur-compositeur et interprète kabyle, est né le 19 février 1923 à Amalou son village natal, relevant de la commune de Bounouh, ou «Arch» des Aït Smaïl, commune de Draâ El-Mizan. Exclu de l’école après une querelle avec un fils de Caïd, Mohand Saïd se consacre aux travaux des champs et devient berger à l’instar de tous les montagnards. À l’âge de 15 ans, il rompe avec ce train de vie et chute à Alger, où il travaillera comme garçon de café à El Harrach. C’est dans ce quartier qu’il rencontra et fit la connaissance du célèbre chanteur Dahmane El Harrachi. Au mois de juin de l’année 1946, il quitte sa famille et embarque pour la France à bord du «Sidi Aissa», un bateau qui mit trois jours de traversée, et c’est à Issy-Les Moulineaux, où son frère aîné gérait un café qu’il entra de plain-pied dans le monde de la chanson. En terre d’exil, il travaillait dur et s’occupait des activités politiques puisqu’il était militant du parti du peuple algérien-mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD). Alors qu’il vivait à Issy-Les Moulineaux, il tomba amoureux d’une Française avec qui il fonda une famille. De cette union sont nés 5 enfants : Amar (1954), Malika (1955), Ourdia (1956), Noura (1957) et Djamal (1959). La chanson ne viendra qu’à partir de 1953, en enregistrant 5 disques à la maison Philips, dont «Barka-k tissit n crab» (Arrête la consommation de l’alcool), car pour lui, l’alcool empêche la prise de conscience révolutionnaire. Ce fut, à ce titre, le premier chanteur algérien à être édité dans la prestigieuse maison Philips. Il enregistra ensuite chez Pathé-Marconi. Après le déclenchement de la guerre de libération nationale, de retour au pays pour rejoindre le maquis, Krim Belkacem le rencontre pour lui dire : «Toi, tu ne dois pas être au maquis, tu es chanteur et tu peux te déplacer à ta guise en France ; la Révolution à besoin de toi là-bas pour sensibiliser par le verbe et aider avec l’argent». En bon militant de la cause nationale, il repart une nouvelle fois à Paris où il a acheté un café qu’il transforme en un lieu de rencontre de tous les artistes et servait également de gîte pour les militants du FLN. Il eut des démêlés aussi bien avec les militants du Mouvement national algérien (MNA) qu’avec la police française, qui l’arrêta en 1958, alors qu’il était avec son fils Amar (4 ans), en train de faire des provisions au monoprix de Boulogne-Billancourt. Il passa deux ans dans les prisons de Boulogne-Billancourt (France), d’Annaba et de Constantine (Algérie). Tous ses biens furent saisis par la police française et sa femme et ses enfants furent pris en charge par la Croix Rouge Française. Il ne fut autorisé à revenir en France qu’à la fin des années 60. À l’indépendance, il s’est consacré pleinement à l’art en produisant plusieurs chansons, dans lesquelles il chante la misère, les souffrances de ses compatriotes, la nostalgie et l’amour. Parmi elles sa célèbre chanson : «Abaḥri siweḍ-asen slam i warrac ak n tmurt-iw» en hommage à la Kabylie pour les affres qu’elle a subie durant la guerre de libération. Déçu, il quitta l’Algérie et séjourna en France jusqu’en 1980. Ses dernières années de vie dans son pays, il les passa dans des conditions difficiles. Un drame familial l’ayant obligé à quitter les siens, il se retrouva livré à lui-même, vivant dans des hôtels et en troubadour, sans aucune considération ou prise en charge par les autorités concernées, jusqu’au jour où on le trouvera … assassiné. Son corps a été découvert, le 3 mars 2000, au lieu-dit Sidi Koriche, à proximité de la ville côtière d’Azeffoun. Selon les témoignages de nombreux citoyens, Moh Saïd Oubelaïd a été assassiné avant que son corps ne soit retrouvé «accidentellement», quatre jours plus tard, à moitié enseveli, au bord de la mer. Exhumé il sera inhumé après une enquête et les formalités nécessaires, le dimanche 5 mars, dans son village natal. Depuis, quelques hommages lui furent rendus. Mais il y a fort longtemps qu’on a oublié celui qui a égayé tant les foyers kabyles. Ils sont nombreux les artistes oubliés, effacés des mémoires et ré-enterrés loin de nos souvenirs. On ne les évoque plus….
Sadek A. H.